Eh bien pour moi c’est bien simple, les deux premiers tomes du Livre des Martyrs font non seulement partie de mes meilleures lectures de 2018, mais également des meilleurs livres de high fantasy que j’ai pu lire ! C’est peu dire que j’ai pris une claque magistrale doublée d’un plaisir de lecture constant.
Et pourtant, j’y suis allé avec un certain scepticisme. Je me méfiais de la hype, craignais d’être déçu à force d’en avoir entendu parler, etc.
Cependant, j’ai très très vite était cueilli par Les Jardins de la Lune (l’arrivée de Cotillon, Ombretrône et des Molosses m’avait beaucoup plu et le siège de Pâle a fini de me rallier à la cause :
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l’image de ce nuage de corbeaux s’élevant de Sang de Lune me restera longtemps en tête).
Pour le coup, j’adore ces livres qui prennent le parti de ne rien expliquer au départ, et qui nous laissent assembler les pièces du puzzle au fur et à mesure de l’intrigue. La façon de faire d’Erikson m’a en fait rappeler deux space opera que j’adore : Dune et Hypérion.
Je trouve que c’est un parti pris hyper ludique. Le livre nous oblige à être un lecteur actif, d’être attentif et d’essayer de comprendre cet univers par nous même, de faire les liens et donc de participer à sa construction, ce qui le rend encore plus tangible (et quel univers !)
Personnellement, j’adore avoir un livre qui va m’occuper l’esprit même une fois refermé. Dont les énigmes vont me triturer. Qui me permet de ressentir ces moments de pure satisfaction lorsqu’une intuition concernant l’univers ou un évènement se trouve confirmée. Ou quand une phrase nous fait soudainement comprendre un passage obscur lu quelques centaines de pages auparavant, et que l’on s’empresse d’aller le reparcourir pour corroborer cette nouvelle compréhension.
D’autant plus, qu’à mon sens, ce type d’écriture nous permet de vivre une réelle expérience, relation avec le livre. Cela devient un voyage fait de souvenirs car l’on a exploré le livre et son monde au fur et à mesure, sans avoir toutes les clés dès le départ.
Je comprends tout à fait que ça ne plaise pas à tout le monde mais, à mon sens, quand c’est bien fait et que l’on y est réceptif, cela enrichi l’expérience de lecture de bien des façons.
Enfin, j’ai visiblement de la chance car je n’ai absolument pas ce problème de manque d’empathie envers les personnages. J’ai très rapidement était pris aux tripes par bon nombre d’entre eux ( j’aime tout particulièrement les Brûleurs de Pont et Loquevoile pour les Jardins de la Lune).
Concernant plus spécifiquement Les Portes de la Maison des Morts, j’ai trouvé le livre sublime. Il a réussi à susciter bon nombre d’images, d’émotions et réflexions qui me resteront longtemps en mémoire. Et c’est un livre que je suis certain de relire (tout comme les Jardins, d’ailleurs), tout en voyant déjà les plaisirs supplémentaires qu’une relecture apportera.
Tout l’arc Coltaine/Duiker/Chaîne des chiens est vraiment incroyable. Le talent de conteur d’Erikson sur ces chapitres m’a clairement impressionné. Il arrive à nous faire ressentir la folie, l’horreur et le chaos du champ de bataille et de cette interminable fuite, comme si nous étions au coude à coude avec ses protagonistes. C’est beau et terrible à la fois. D’autant plus que l’on assiste à la destruction mentale des personnages au fur et à mesure de leur avancée.
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Le personnage de Duiker est vraiment très touchant, dans la manière dont il paraît progressivement perdre la raison, seule manière de survivre aux horreurs dont il est le témoin. C’est d’ailleurs une très bonne idée de ne raconter aucun chapitre via Coltaine, mais de montrer uniquement ce dernier au travers du regard de Duiker.
Le reste du livre ne démérite pas pour autant. L’amitié tragique de Mappo et Icarium offre de très beaux moments (et j’ai hâte de lire son évolution).
Le chemin de croix de Félisine est en définitive assez surprenant, tout comme l’écriture de ce personnage et de ses compagnons. Je trouve vraiment qu’Erikson arrive à dépeindre des personnages très intéressants, toujours en multiples nuances, bourrés de contradictions qui les rendent très humains et toujours plus complexes qu’ils ne le semblent (Baudin est un bel exemple de ça,
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entre sa présentation en brute qui décapite une vieille femme à son dernier échange avec Félisine).
Et Kalam et Violain, que j’avais déjà adoré dans le tome précédent, sont toujours aussi bons. Tout particulièrement Violain qui gagne pas mal en profondeur.
Et, non content d’avoir une histoire et des personnages captivants, le livre parvient en plus à susciter des réflexions passionnantes que ce soit sur les civilisations, la place et l’impact des individus en leur sein, l’insignifiance des hommes face à l’immensité du temps, leur propension à la cruauté, la complexité de l’histoire opposée à la vision caricaturale et simpliste que nous pouvons en avoir
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la confrontation de Kalam avec l’impératrice est à ce niveau exemplaire
, la façon dont un homme peut devenir mythe et infuser son peuple
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du moins c’est ma lecture des corbeaux transportant les âmes des wickiens
, etc, et cela en utilisant souvent les artifices de la fantasy comme métaphore, plutôt qu’en énonçant platement les choses.
Pour le moment, je trouve que ce cycle réussit parfaitement à croiser une dark fantasy plus crue et « réaliste » (même si je n’aime pas ce mot) avec une fantasy complètement décomplexée en terme de merveilleux, de magie, de situations et personnages bigger than life (ces chapitres à bord de la Silanda qui m’ont furieusement fait pensé aux passages hallucinés des romans d’Elric, par exemple). Ce qui rend le tout souvent surprenant et rafraichissant.
Allez, pour tout de même dire que, bien entendu, tout n’est pas parfait, il y a bien une ou deux ficelles ou Deus Ex (peu importe comment on veut les désigner) qui peuvent paraître un poil faciles. Mais finalement peu dérangeantes.
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L’évasion du Silanda de la garenne Tiste Edur est pour le coup vraiment difficile à comprendre et me paraît un peu tirée par les cheveux (du moins si j’ai bien compris : Kulp fait un trou dans sa garenne afin de trouver un solipris qui voyage vers sept-cité, via cette garenne puis d’autres, afin que la bateau soit « aspiré » dans son sillage. C’est ça ?).
Cela reste une lecture relativement exigeante et, surtout, qui ne fait aucun effort pour rattraper le lecteur qui aurait du mal.
Enfin, Apsalar et Crokus, bien qu’étant présents, paraissent curieusement absents et effacés dans ce tome. On oublie parfois qu’ils sont là. C’est d’autant plus dommage que j’aime vraiment beaucoup Apsalar/Mes Regrets. C’est vraiment le défaut majeur de ce tome, pour moi (les autres mentionnés étant surtout des points de détails à l’importance relative),.
Désolé, je pars un peu dans tous les sens (et désolé pour le pavé

), je trouve qu’il est toujours difficile de parler d’un livre qu’on a autant aimé. Mais me voilà donc fan boy d’Erikson (avec toute la retenue qui va avec

), ce que je n’avais absolument pas vu venir !
Ma seule inquiétude concerne désormais la suite, car il FAUT que les 10 tomes sortent en France !!

Un dernier mot concernant la traduction. Je souhaite féliciter les traducteurs car j’apprécie vraiment le travail qui a été fait sur les noms propres. Il est particulièrement appréciable d’en avoir des versions françaises (je trouve par exemple que Loquevoile et Mes Regrets sont de superbes idées de traductions). Cela participe à donner une saveur particulière aux livres. Et on sent que cela a été fait avec passion et réflexion !