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Même s’ils ne publient pas beaucoup dans le genre, les Presses de la Cité arrivent souvent à nous sortir un ou deux ouvrages par an. Ainsi, ils ont cette fois porté leur dévolu sur Jane Rogers, une romancière britannique peu publiée en France, lauréate du prix Arthur C. Clarke 2012 pour le Testament de Jessie Lamb que l’éditeur français se propose de nous faire découvrir. Publié en grand format avec une couverture digne d’une collection romance, le roman n’est pas non plus étiqueté comme science-fictif, dans le but de lui faire certainement toucher un plus large public. Mais au fait, de quoi parle-t-il ce livre ?Jessie Lamb est une adolescente de 16 ans comme on en fait beaucoup. Pleine de bonne volonté, en plein bouleversement sentimental et psychologique, souvent rebelle et sensible, la jeune femme pourrait donc tenir un journal intime comme toutes les autres adolescentes de son âge. Sauf que le monde de Jessie n’est pas un monde normal. Dans celui-ci, les femmes enceintes meurent et les enfants ont cessé de naître à cause du virus dit du SMM pour Syndrome de Mort Maternelle. Cet hybride entre un prion à la Creutzfeldt-Jakob et le VIH ne se manifeste que lors de la grossesse en détruisant le système nerveux de son hôte. Ainsi, partout dans le monde, tout semble s’effondrer tandis que divers groupuscules tentent de faire bouger les choses. Au milieu d’un monde à la dérive, Jessie décide d’écrire un testament pour transmettre à son enfant, car contre l’avis de ses parents, elle s’apprête à faire un choix, terrible et héroïque.Le roman se présente donc sous la forme d’un journal intime plus que comme un testament comme pourrait le laisser croire le titre. On y suit les états d’âme de Jessie, une jeune anglaise qui, quasi-immédiatement, touche par son humanité et la justesse de sa description. Rogers compose une adolescente plus vraie que nature, avec son entêtement, ses préjugés, ses bêtises, son ignorance mais aussi son courage et sa naïveté. Si le cœur de l’histoire se concentre sur Jessie, sur ses peurs et ses craintes, sur ses premiers amours et ses rêves, elle montre aussi les relations de celle-ci avec ses parents et notamment son père, chercheur en biologie. Le roman montre ainsi comment la jeune femme se forge une personnalité et des convictions, en s’opposant souvent à sa famille, et finit en fait par devenir adulte de façon prématuré.Immédiatement, l’histoire renvoie à un petit chef d’œuvre de SF un peu tombé dans l’oubli aujourd’hui du fait de sa non-réédition : Journal de Nuit de Jack Womack. Comme dans ce dernier, ce qui fascine, c’est le regard de la jeune fille sur une société qui se désintègre. Au fur et à mesure du roman, on assiste à un scission de l’humanité au sein de groupes plus ou moins farfelus qui, d’une façon ou d’une autre, ont un rapport avec le SMM. Certains veulent stopper les expérimentations animales, d’autres s’organisent en association féministe-activiste et bien d’autres choses encore. Ce que n’est pas forcément capable de s’apercevoir Jessie, c’est que toutes les idées de ces différentes groupes auxquels elle sera confrontée n’ont non seulement aucune idée des choses mais s’enferment dans une vision étriquée de la situation juste pour transmettre un message qui les conforte. De ce fait, on suit Jessie qui tente parfois de justifier telle ou telle idée de son point de vue naïf d’ado en crise, mais qui ne nous dupent à aucun moment.En fait, le roman joue pour une grande partie sur le décalage entre la gravité de ce qu’il se passe et sur les conséquences sociétales d’un côté, et ce qu’en retient et perçoit Jessie de l'autre. De ce point de vue, Rogers fait des merveilles et Jessie sera souvent très agaçante, notamment confrontée à son père – sorte de double actif du lecteur. Ce petit jeu est aussi à double tranchant tant le discours tenu par la jeune fille peut paraître totalement bête (le couplet sur le retour à l’homosexualité masculine du fait du SMM) mais petit à petit on la voit mûrir et s’extirper de toutes ces choses pour faire de vrais choix, des choix durs, d’adulte. Le Testament de Jessie Lamb s’avère un vrai et authentique roman d’initiation qui parle aussi souvent de notre société et de notre comportement tellement auto-destructeur et absurde. Ecrit de façon assez simple, mais pas pour autant mauvais, on retrouve la facilité d’écriture d’une jeune fille, ce qui fait gagner en authenticité mais aussi en accessibilité, idéal pour des lecteurs novices en la matière. Cependant, il comporte aussi son lot de scènes difficiles, comme cette évocation d’un viol ou le passage à tabac par des gangs. Sans finir aussi sombrement que Journal de Nuit, Le Testament de Jessie Lamb va jusqu’au bout de sa logique pour une fin aussi tragique que forte en émotions. Pourtant, en fermant le livre, on ne pourra pas s’empêcher de garder un arrière-goût d’inachevé à ce roman, aussi rapide à lire et prenant soit-il. Même si Rogers excelle dans le portrait de Jessie et de ses parents, même si l’intrigue ne connaît pas de vrai temps mort, on sent tout un potentiel non exploité par l’auteure. C’est justement la comparaison avec Journal de Nuit qui fait comprendre le manque d’audace du tout, et qui fait qu’à un certain moment, l’action semble se refermer sur la simple clinique où réside Jessie et plus vraiment sur le monde quand la lente descente aux enfers du New-York de Lola semblait reflété le monde et le destin de l’homme. Certes, le but n’est certainement pas le même, mais peut-être Rogers a-t-elle manqué le coche en finissant par un peu traîner en longueur sur la fin alors que l’on sait rapidement ce qui attend Jessie. De même la résolution de l’intrigue du « kidnapping » parait légère et trop précipitée au regard de l’importante narrative accordée. Des défauts qui empêchent le roman de devenir mémorable mais qui ne retire rien de ses qualités indéniables.Très efficace et réaliste dans son approche de l’adolescence, parfois bouleversant dans ses aboutissants, Le Testament de Jessie Lamb s’avère une bonne découverte et une lecture agréable et intelligente. Outre son regard désabusé sur le monde, Rogers ne peut s’empêcher d’espérer - comme son héroïne - qu’un jour l’humanité change. En attendant, on conseillera son ouvrage à tous ceux qui cherchent de la science-fiction qui place l’humain au cœur de son récit.Note : 7/10