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En relisant "les nombreuses vies de Conan" je suis (re)tombé sur un paragraphe qui parle de cette œuvre.Quelqu'un l'a déjà lu ?Sachant que Salammbô a été rédigé en 1868 le style n'est il pas trop archaique ?Pour ceux qui ne connaissent pas voici un court résumé pioché sur le net :
Salammbô est un roman historique de Gustave Flaubert, paru en 1862 chez Michel Lévy.Il prend pour sujet la Guerre des Mercenaires, IIIe siècle av. J.-C., qui opposa la ville de Carthage aux Mercenaires barbares qu’elle avait employés pendant la première Guerre punique, et qui se révoltèrent, furieux de ne pas avoir reçu la solde convenue. Flaubert chercha à respecter l’Histoire connue, mais profita du peu d’informations disponibles pour décrire un Orient à l’exotisme sensuel et violent.

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Je reproduis ci-dessous ce que j'ai noté ailleurs :J'ai relu récemment Salammbô, de Gustave Flaubert.Je l'avais lu il y a une vingtaine d'années. À l'époque, je l'avais dévoré en une journée et je m'étais dit : "Waouh ! Mais Flaubert est un des inventeurs de l'heroic fantasy !" Depuis, j'en avais conservé quelques souvenirs : l'incipit célèbre, le vol du zaïmph, les lions du temple de Moloch, l'assaut des mercenaires contre la muraille, le dénouement… Mais l'essentiel de l'œuvre était devenu bien nébuleux. Finalement, je suis retourné à Carthage. "C'était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d'Hamilcar."Cette seconde lecture ne m'a pas secoué comme la première, mais elle m'a agréablement réveillé quand même. Je me retrouve assez dans l'appréciation qu'en avait donnée Baudelaire : "Beau livre plein de défauts…" Quels défauts à mes yeux ? En vrac : beaucoup de caractères très minces, orientalisme de bazar, érotisme pompier (Salammbô et son serpent), hésitation singulière entre le registre épique et la concision des historiens antiques dans les récits de bataille. Toutefois, mes réserves sont peu de choses face au monument que reste le roman pris dans sa globalité.Étrangement, Salammbô n'est ni un roman réaliste, ni un roman historique. Certes, Flaubert s'est documenté pendant des années. Il a lu tous les historiens antiques, les archéologues et les orientalistes des XVIIIe et XIXe siècles, les historiens de l'histoire militaire ; il a relu la Bible de fond en comble pour aller chercher des indices sur les civilisations phénicienne et punique ; il a passé un mois, sur place, à étudier le site de Carthage en Tunisie. Sacré travail préparatoire, à la mesure de son auteur. Mais à partir du moment où il maîtrise sa matière, Flaubert ne s'y soumet pas : il l'adapte à son propre caprice. Il spécule sur des monuments qu'il admet lui-même peu probables à une époque aussi haute, comme l'aqueduc de Carthage ; il déforme des noms propres comme Narravas modifié en un Narr'Havas plus exotique ; il invente des péripéties à la guerre, comme le double siège de Carthage ; il concentre au cours du siège absolument toutes les machines de siège inventées par la poliorcétique hellénistique, ce qui est très improbable (sans quoi les mercenaires auraient sans doute pris Carthage). Salammbô elle-même est un personnage purement fictif, qui s'avère être la scorie d'un projet de roman égyptien, que Flaubert avait abandonné parce que Théophile Gautier lui avait grillé la politesse en publiant Le Roman de la Momie en 1858. On m'objectera que "faire de beaux enfants à l'histoire" est une spécificité du roman historique, ce dont je conviens volontiers. Et pourtant, je persiste à penser que Salammbô n'est pas un roman historique. Tout y est trop. L'hénaurmité flaubertienne s'est emparée de son sujet, et lui donne une ampleur qui annule son historicité. Malgré les batailles parfois elliptiques, nous sommes dans le mythe et dans l'épopée.Attention, cependant : il ne s'agit nullement de l'épopée homérique ; il s'agit d'une épopée très XIXe siècle. Dans l'hommage posthume que Maupassant publia dans la presse après la mort de son mentor, il écrivit que contrairement aux idées proférées par la critique, Flaubert n'était pas un réaliste, mais un romantique. Il voyait juste. Salammbô est un drame romantique. Il en a la violence, l'outrance, la naïveté, la volonté délibérée de choquer le bourgeois. Quand Baudelaire voulut publier ses poèmes, il conçut d'abord le projet d'intituler son recueil Les Lesbiennes ; il disait alors qu'il voulait un "titre pétard", pour qu'il explose à la gueule du bourgeois. Salammbô est un roman pétard. Tout y est conçu pour exploser à la gueule du bourgeois : son étrangeté, son gigantisme, son érotisme, sa cruauté - car c'est un roman extrêmement violent : on y mutile des éléphants et des hommes, on y crucifie des lions et des hommes, on y sacrifie des enfants, on y massacre des dizaines de milliers de combattants, on y casse les jambes de prisonniers qu'on jette dans des fosses à merde, on y arrache le cœur d'un héros, on y pratique l'anthropophagie… Pourtant, Flaubert se dira "un peu blessé" quand Sainte-Beuve le présentera comme un disciple de Sade. Et je le crois sincère : Flaubert évoque les horreurs de la guerre, mais l'horreur n'est pas son sujet - et ce, malgré la chute très brutale du roman. Je ne crois pas qu'il y ait de perversion dans l'œuvre : il fait la peinture du mal, il ne l'exalte pas. La Beauté, qui reste l'objectif du roman, dépasse, et de loin, le simple ébranlement de la sensibilité. Flaubert peint une catastrophe, et pour que la catastrophe soit complète, il s'agit aussi de décrire l'horreur. Mais son roman a une vocation plus tragique que pornographique - la sexualité, du reste, n'y est jamais explicitée - et c'est vraiment faire un contresens que d'y voir du sadisme. Salammbô, c'est avant tout l'ivresse d'une Grande Dionysie punique. Exotisme, ébranlement des sens, crépuscule convulsif : dans l'histoire du XIXe siècle, Salammbô m'apparaît comme le trait d'union singulier entre le romantisme de La légende des Siècles et la décadence d'A rebours.Tout cela, c'est bien joli, me direz-vous. Mais quid de l'heroic fantasy ? Eh bien précisément, elle vient se nicher dans la provocation, le "mauvais goût", l'outrance. Elle n'est pas constante dans le fil du roman, mais elle apparaît çà et là, en fragments si éclatants qu'elle saute aux yeux du lecteur contemporain. La Carthage de Flaubert est si énorme, si riche, si cruelle, si proche de la catastrophe qu'on n'est pas très loin de Melniboné ; le duo formé par Mâtho et Spendius, les circonstances rocambolesques du vol du zaïmph, c'est la préfiguration de Fafhrd et du Souricier gris ; et certains passages sont déjà complètement howardiens. Voici deux exemples, pour le plaisir.
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Deuxième extrait, tiré du chapitre XIV, Le Défilé de la Hache.
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Je ne suis pas certain que Flaubert aurait apprécié ce parallèle entre son roman et la fantasy, mais le lien me semble malgré tout très séduisant et assez évident.[Edit] Une remarque, quand même : Salammbô n'est pas du roman populaire. C'est une lecture qui se mérite ; mais elle vaut largement l'effort.

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Ce roman est "hénaurme" comme le voulait Flaubert et il est génialissime. Le surnaturel reste discret, mais les amateurs de fantasy auront tout de même de quoi se mettre sous la dent, car c'est un roman à l'univers très "péplum".
indy620 a écrit :Sachant que Salammbô a été rédigé en 1868 le style n'est il pas trop archaique ?
Trois réponses possibles :- Sachant que la littérature existe en gros 6000 ans, as-tu vraiment envie de te priver de tout ce qui a plus de 100 ans juste parce que tu n'es pas encore habitué au style ? ;)- Franchement ça va, en plus les phrases sont très bien rythmées (ça compte si on est sensible à la "musique" du texte). Après, c'est une question de vocabulaire et ça dépend aussi largement de ce que tu as lu d'autre jusque là.- L'avantage d'avoir été publié en 1868, c'est que le roman est libre de droit et se trouve en ligne, par exemple sur Wikisource : autant aller te faire un avis par toi-même :)Il faut savoir que Flaubert n'est vraiment pas que l'écrivain de Madame Bovary ou de L'Education sentimentale : toute sa vie il a été partagé entre deux envies, celle d'écrire des récits réalistes pour commenter la société de son temps et celle d'écrire des récits qui n'avaient rien à voir avec le monde présent. Et Salammbô n'est pas du tout le seul récit "fantasmagorique" qu'il a écrit. Si vous voulez lire du Flaubert écrivain de fantasy, je vous conseille, encore plus que Salammbô, d'aller mettre le nez dans :- Les Trois Contes pour y lire "La Légende de Saint-Julien l'hospitalier", qui est un merveilleux conte fantastique médiéval (avec un saint qui, au début, ne l'est pas du tout, mais alors pas du tout). A lire aussi dans ce recueil : Hérodia, conte à sujet biblique qui est assez proche du genre d'ambiance de Salammbô (forcément, on est en pleine Antiquité).- Encore moins connu (à tort) : La Tentation de Saint-Antoine. Le sujet est connu : Saint-Antoine, retiré au désert dans sa Thébaïde, doit faire face à des tentations qui sont des hallucinations inspirées par le Diable. Flaubert en prend prétexte pour décrire avec beaucoup d'exotisme les multiples croyances, païennes, chrétiennes, hététiques etc. de la fin de l'Antiquité, et pour s'en donner à coeur joie dans les descriptions des apparitions fantastiques, le tout sur fond de questionnement métaphysique échevelé. Flaubert comme on ne le connaît pas assez.

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Prévenons quand même les lecteurs…La Légende de saint Julien l'Hospitalier, c'est très beau, très cruel et ça se lit tout seul.La tentation de saint Antoine, c'est génialissime, mais ça demande quand même un lecteur bien accroché, parce que les références mythologiques, bibliques et hérétiques tombent dru dans une fantasmagorie hallucinée.Pas encore lu, mais ça ne saurait tarder : les Moutons électriques viennent de publier le théâtre de Flaubert. Dans le lot, il y a Le château des cœurs, une féerie (comprendre : une pièce merveilleuse) qui, au dire d'André-François Ruaud, est un autre texte précurseur de la fantasy.

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Salammbô reste pour moi une lecture marquante qui remonte à quelque temps (une dizaine d'années). Flaubert a su créer des personnages grandioses et tragiques, avec un Hamilcar discret, une Salammbô sublime et mystérieuse ainsi qu'un chef de la rebellion, Mathô, très charismatique. Le récit comme le combat sont grandioses avec des affrontements très prenants, bien que le décors oriental serve surtout de faire-valoir dans un but d'exotisme (le terme d'oriantalisme de bazar me semble en effet très approprié). Le surnaturel reste très discret. Quant au style d'écriture, il est certes ancien mais reste tout à fait lisible et prenant. Le château des coeurs reprend les classiques du théâtre et m'a moins marqué, mais son ambiance féérique et fantasy constituent une nouveauté par rapport aux écrits de l'époque. Ne serait-ce que pour ça cette pièce de théâtre mériterait d'être lue.

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Sarmate a écrit :La tentation de saint Antoine, c'est génialissime, mais ça demande quand même un lecteur bien accroché, parce que les références mythologiques, bibliques et hérétiques tombent dru dans une fantasmagorie hallucinée.
C'est vrai, mais je ne sais pas dans quelle mesure ça gêne la lecture ou non :huh: Il y a des références très érudites voire franchement obscures que même un étudiant en Lettres classiques ne pourrait pas comprendre toutes, mais à mon sens ça n'empêche pas forcément de profiter du texte.
Sarmate a écrit :Pas encore lu, mais ça ne saurait tarder : les Moutons électriques viennent de publier le théâtre de Flaubert. Dans le lot, il y a Le château des cœurs, une féerie (comprendre : une pièce merveilleuse) qui, au dire d'André-François Ruaud, est un autre texte précurseur de la fantasy.
Excellente initiative :) Je ne l'ai encore jamais lu et je me le procurerai à la première occasion.
belgarion a écrit :Le château des coeurs reprend les classiques du théâtre et m'a moins marqué, mais son ambiance féérique et fantasy constituent une nouveauté par rapport aux écrits de l'époque. Ne serait-ce que pour ça cette pièce de théâtre mériterait d'être lue.
Ce n'est pas si original que ça comme thème : le conte de fées et le merveilleux reviennent en vogue avec le romantisme et des auteurs comme Charles Nodier s'y sont intéressés avant Flaubert. Idem pour le genre théâtral de la féerie, qui n'est pas nouveau à l'époque. Par contre, des auteurs à ce point écartelés entre le réalisme et la fantaisie, il n'y a pas dû y en avoir beaucoup. Cela dit, je ne sais pas exactement de quoi parle la pièce (et son article sur Wikipédia n'a aucun résumé, à vot' bon coeur m'sieurs-dames...).EDIT : Rhaaa, ce coup-ci je n'oublierai pas : la BD de Druillet adaptée du roman est une claque graphique monumentale, à lire ou à zyeuter en librairie, c'est du space opera à faire passer Star Wars pour un film intimiste et Le Seigneur des Anneaux de Jackson pour une production à budget modeste.

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Pou ma part, jamais lu le livre de Flaubert en entier, juste des passages.Mais j'ai lu il y a longtemps la BD de Druillet qui en utilise de grandes parties texto et qui suit l'histoire originale.Côté illustration c'est du grand, du pur Druillet, inimitable. Excellente BD.

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Ben merci , les gars ça donne envi de s'y mettre !
- L'avantage d'avoir été publié en 1868, c'est que le roman est libre de droit et se trouve en ligne, par exemple sur Wikisource : autant aller te faire un avis par toi-même smile
Je ne savais pas je cours y jeter un oeil !

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j'en ai lu du Flaubert et j'ai jamais réussi à aimer... manque de bol le seul gros morceau que je n'ai pas lu c'est justement Salammbô ... et tout le monde (hors prof de français) me dit que c'est le meilleur ! Je vais peut-être un jour finir par me convaincre de le lire... ;)

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indy620 a écrit :Moi aussi , j'avoue que l'école m'a dégouté des auteurs classique !
je n'ai que l'éducation sentimentale pour les études... Les autres j'avais choisi de les lire! En fait souvent en manque d'idées de lecture , je piochais dans les classiques avec plus ou moins de bonheur... Maintenant il y a internet qui me permet de découvrir foule de choses...

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indy620 a écrit :le style n'est il pas trop archaique ?
Forcément, le rythme n'est pas le même que les romans modernes.Mais à l'époque, mon prof de latin m'avait soufflé de lire ce roman ainsi qu'un certain Seigneur des anneaux. Franchement, le second avait eu du mal à tenir le choc face à la beauté et même l'histoire des Seigneurs de guerre de Carthage ^^ ( Alors imaginez le Hobbit )

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entre Flaubert et Tolkien le choix est vite fait... Comme idait ma prof de français en 1ere : Flaubert a l'art de raconter des choses avec du rien... pour elle c'était un compliment, pas pour moi. Le style de Tolkien m'enchante ... mais bon je changerais peut-être d'avis en lisant Salammbo... en lisant les commentaires j'ai vraiment l'impression d'avoir affaire à un auteur fort différent !

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Oui.Je voulais juste dire que les romans de Tolkien ne sont ( mais pas que ) que des exercices de style pour mettre en scène ces théories sur les langues elfiques etc... Il n'avait pas pour but d'écrire un roman au sens strict mais de mettre en mouvement son bazar.Un peu comme si Caroll s'était fendu d'un ouvrage farci de formules mathématiques.

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Flaubert a l'art de raconter des choses avec du rien...
C'est vrai Pour Madame Bovary (j'aime pas Emma ! mais l'adaptation du roman par AlexandreSokourov est géniale...) et l'Education sentimentale.Pour Salammbô, en revanche...Salammbô, c'est... flamboyant !(Je n'ai jamais compris pourquoi les profs de français évitaient la Princesse de Carthage au profit de la bourgeoise normande...)