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par Cu Chulainn
Mage
Je répond à un sujet qui date un peu (c'est ma spécialité quand j'arrive sur un nouveau forum...) puisque ce sont des questions épineuses quand on est amateurs de fantasy et de Tolkien en particulier. J'ai des amis assez cultivé qui s'intéressent beaucoup à la littérature classique, et plus d'une fois ils m'ont gentiment fait comprendre que pour eux, la fantasy, c'était de la pseudo littérature bas de gamme.....Bref, chacun pense ce qu'il veut, mais déjà c'est une attitude très française.Oui, je pense que le "culte" (mot un peu fort mais bon...) autour de Tolkien s'explique très bien et a plein de sens.Dans notre époque si pragmatique et matérialiste, beaucoup s'y retrouvent plus ou moins consciemment dans une oeuvre qui véhicule des valeurs morales et spirituelles très anciennes, qui font partie de l'inconscient collectif, et ça se comprend très bien.Des valeurs passéistes? Non, ça n'est pas du passéisme! Tolkien n'a jamais vanté une époque ou une autre, ni un retour à un mode de vie passé ou je ne sais quoi! On le perd souvent de vue, mais la Terre du Milieu est un endroit rude, où la guerre, la mort, le malheur sont omniprésents. Les Hobbits et leur Comté sont une exception, une expression d'une sensibilité particulière de l'auteur, de valeurs qui lui tenaient à coeur, mais ça n'a rien à voir avec les nombreuses réflexions et interrogations sur la condition humaine que recèle son oeuvre, qui sont parfois très contemporaines.Alors certes, Tolkien avait un côté réac, disait que la technologie était mauvaise et refusait une partie du monde moderne.... Mais plutôt que de tout mettre d'un coup dans la case "réac passéiste", il faudrait plutôt y regarder de plus près. Tolkien exprimait dans sa correspondance son dégoût pour la technologie. Il exprimait ses réflexions à son sujet, indiquant le fait que certes la technologie et la modernité avaient apporté des avantages à l'être humain, mais que le prix à payer fut, est et sera bien plus élevé...Ne sommes nous pas là dans des questions ultra contemporaines au milieu des débats environnementaux et sociaux qui agitent nos sociétés??? Je pense que Tolkien, dans son oeuvre, s'intéresse à l'avenir, qu'il pose de vrais questions sur les modes de vie et le fonctionnement des sociétés modernes, tellement égocentriques qu'elles s'imaginent être l'aboutissement ultime du potentiel humain...Venons-en maintenant au soi-disant manichéisme, également abordé dans ce sujet. L'oeuvre de Tolkien, malgré la présence de nombreuses races "fantastiques", s'intéresse avant tout à l'humain (j'entend par là les "vrais humains", mais aussi les hobbits et dans une moindre mesure les elfes au Premier Age). Le "mal" dans Tolkien est un accessoire, il est absolu et impersonnel. Ce qui intéresse Tolkien, ce n'est pas la lutte entre le bien et le mal, ce sont les choix de ses personnages par rapport au mal. C'est pourquoi si on a beaucoup de nuances parmi les "peuples libres", on en a très peu chez les serviteurs du "mal", ceux-ci sont décerebrés, ils n'ont pas de volonté propre. La meilleure expression de ce concept, ce sont les nazguls. Mais les orcs et autres trolls sont de même nature. Ils ne constituent pas une race, ce sont des concepts, auxquels les protagonistes sont confrontés. Dire que Tolkien était manichéen, voire même raciste, antisémite ou fascisant, en se basant sur le fait que les orcs sont une race soi disant "inférieure", nécessairement mauvaise, et que l'on peut massacrer sans considérations morales, c'est faire une analyse très simpliste et partielle de l'oeuvre. J'en veux pour preuve que les orcs sont de même origine et de même nature, à la base, que les elfes, la soi-disante "race supérieure" de Tolkien.En bref, alors que beaucoup d'analystes se concentrent dessus, le "mal" dans Tolkien est en fait complètement secondaire, on s'en fout presque, ce qui importe, ce sont les personnages, et leurs réactions/choix vis à vis de ce mal, avec par exemple le triptique Aragorn/Boromir/Faramir.... qui représente trois choix possibles de personnes assez proches face aux enjeux qui leur sont imposés (et qui sont du à ce "mal" qui est en fait très lointain et impersonnel).Enfin, je rapellerai juste qu'en plus de 6000 ans que durent les 3 âges, ce sont les créatures les plus "faibles", vulnérables, et pas les plus sages, les hobbits, qui finissent par résoudre des enjeux face auxquels tous les autres, si puissants elfes, hommes, guerriers et magiciens qu'ils soient, ont tous échoué.Tout ceci s'accompagne d'une poésie, de subtilités qui font ce cette oeuvre quelque chose de beaucoup plus complexe qu'une simple lecture ne le laisse penser de prime abord, et l'ensemble fait que l'on peut vraiment appeler Tolkien de la Littérature (avec un grand "L"). Après, c'est avant tout les lecteurs d'une oeuvre qui en font ce qu'elle est, et en fait, peu importe qu'on la classe dans telle ou telle case.Bref, je ne vais pas non plus vous asséner un roman sur toutes mes réflexions depuis 15 ans de passion pour l'oeuvre de Tolkien.Pour finir sur mes réflexions sur ce culte de Tolkien, je pense que l'effet des films biaise complètement la reception que l'on peut en avoir, ces films donnant une vision simpliste et parfois très différentes de l'oeuvre originale....(je vais me faire huer, mais excepté pour son côté esthétique et graphique, je ne porte vraiment pas les films de Peter Jackson dans mon coeur....).