Un matin, en promenant les chiens, Artémis vit un arbre là où il n'aurait pas dû y en avoir.Il se dressait à l'écart, dans un coin abrité à mi-côte. L'oeil naïf du simple passant y aurait vu sans doute un arbre comme les autres. L'oeil d'Artémis cependant était loin d'être naïf, et elle courait tous les jours dans ce secteur de Hampstead Heath. Cet arbre-là était nouveau : la veille encore, il ne s'y trouvait pas. Artémis reconnut en outre, au premier regard, une essence inédite, une variété d'eucalyptus complètement fantaisiste. Cet arbre-là n'aurait jamais dû exister, un point c'est tout.Traînant les cabots derrière elle, Artémis approcha. Elle toucha l'écorce de l'arbre et le sentit respirer. Elle appliqua l'oreille au tronc et écouta les battements de son coeur. Enfin, elle regarda de tous les côtés. Tant mieux : l'heure était matinale, il n'y avait personne pour l'entendre. Déterminée à contenir sa colère - l'arbre, après tout, n'y était pour rien -, elle dit :- Bonjour.Silence. Au bout d'un bon moment, elle reprit :- Bonjour.- C'est à moi que vous parlez ? fit enfin l'arbre avec un léger accent australien.- Oui. Je suis Artémis, annonça Artémis.Si le nom disait quelque chose à l'arbre, il n'y parut pas. Artémis précisa :- Déesse de la chasse et de la chasteté. C'est moi.Il y eut à nouveau un silence, puis l'arbre se présenta :- Moi, je m'appelle Kate. Je m'occupe de fusions-acquisitions chez Goldman Sachs.- Savez-vous ce qui vous est arrivé, Kate ?Le silence, pour le coup, n'en finissait plus. Artémis allait répéter la question lorsque l'arbre se fit entendre :- Je crois bien que je me suis changée en arbre.- C'est ça. Vous y êtes.- Dieu merci. J'avais l'impression de devenir folle. L'arbre, cela dit, parut réfléchir un instant et ajouta :- En fait, je crois que j'aimerais mieux être folle. Vous êtes sûre que je ne suis pas folle ?