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Le Voyage du Prince, sorti début décembre, m'a l'air d'être resté trop discret dans les médias entre le énième film de super-héros, le énième Disney et le énième Star Wars (qui est aussi un Disney). Il mérite pourtant largement l'attention.

Jean-François Laguionie est tout simplement l'un des plus grands réalisateurs d'animation en France actuellement. Ses films, toujours d'une grande poésie et d'une belle recherche graphique et musicale, ont remporté de multiples récompenses. Ils prennent le parti d'une narration posée, qui tranche avec le rythme rapide voire frénétique des productions destinées aux enfants de nos jours. Mais, sur cette base tranquille, Laguionie sait propose des aventures épiques et même des scènes d'action quand il en a envie.
Gwen et le livre de sable, son film le plus primé, ressemble à un rêve de désert un peu hypnotique, un récit de voyage dans un univers surprenant, poétique et absurde à la fois, qui, malgré les apparences, relève de... la SF post-apocalyptique !
L'Île de Blak Mor, lui, est un dessin animé de pirates pour jeune public qui constitue une excellent introduction à ce genre d'aventure. Prenez une bonne dose de L'Île au trésor, mélangez avec un roman de Charles Dickens dont le héros est un orphelin en quête d'un lourd secret de famille, ajoutez des graphismes clairs inspirés par les peintures d'Henri Rivière et de beaux navires, complétez avec une musique et des voix hautes en couleur, et embarquez !
Le Tableau, lui, nous emporte dans le monde de la peinture : les habitants d'un tableau inachevé, rongés par les divisions sociales entre les nobles (les personnages entièrement terminés) et les plus misérables (ceux que le peintre a laissés à l'état d'ébauches), décident de sortir de leur tableau pour partir à la recherche de leur peintre et lui demander de terminer son travail. Une grande aventure avec des paysages variés et une réflexion sociale et philosophique tout en douceur.
Louise en hiver, son avant-dernier film, se destine plus aux adultes : ce sont les rêveries d'une vieille dame qui se trouve abandonnée seule dans une ville balnéaire pendant l'hiver et apprend à survivre sans l'aide de personne en dépit de son grand âge, avec pour seul compagnon un gros chien.

Avant la plupart de ces films, Laguionie avait tenté un dessin animé aux graphismes plus classiques et très grand public : Le Château des singes, une fable philosophique sur un jeune singe qui découvre le monde malgré l'obscurantisme de son peuple qui vit refermé sur lui-même. Si certaines séquences faisaient un peu trop disneyennes (les chansons, par ailleurs correctes), le film avait pour points forts des personnages bien campés et de superbes paysages à l'aquarelle.

C'est dans le même univers que Laguionie vient de réaliser, plus de vingt ans après, un deuxième film : Le Voyage du Prince. Indépendant du premier en termes d'intrigue, il en reprend certains personnages. Un vieux Prince, coupé de son peuple au cours d'une expédition, erre à la dérive jusqu'à parvenir sur un continent inconnu. Là, des singes vivent, non pas dans les arbres ou dans des villages, mais dans une grande ville bardée de technologies auxquelles il ne connaît rien. Un jeune singe, Tom, recueille le Prince et va l'aider à faire face aux autorités butées qui ne conçoivent même pas qu'un autre continent puisse exister au-delà de la mer.

Pour en savoir plus :

La bande-annonce
Le site officiel du film

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J'en reviens et c'était aussi beau que la bande-annonce le laissait espérer :) Les dessins sont vraiment très fins et soignés, avec de beaux paysages aussi bien pour la ville que pour la jungle et les espaces naturels. C'est fou le bond de qualité qu'il y a eu depuis Le Château des singes (qui était déjà joli) ! Les personnages, surtout, ont trouvé leur style propre. Et tant que j'y suis, la musique est magnifique, envoûtante. Et j'aime toujours beaucoup le soin avec lequel sont choisis les acteurs pour les voix, ça compte toujours beaucoup en animation.

Pour ce qui est de l'histoire, c'est vraiment un conte philosophique dont l'univers a un côté Cités obscures (pour l'inspiration puisée dans l'architecture et les technologies de la fin du XIXe siècle, les lieux comme le musée abandonné ou les usines, et les relations entre la ville et la nature) et Voyages de Gulliver (pour le regard critique posé sur les sociétés humaines en passant par l'évocation de pays imaginaires). Le film adopte beaucoup le regard du prince, qui vient d'un pays dont la technologie et l'atmosphère rappellent la Renaissance, et qui découvre complètement des technologies comme la lampe électrique ou le tramway. Cela crée, au début du film, un décalage entre la voix off du prince et ce que nous comprenons nous, et c'est assez amusant.

Le film repose beaucoup sur le tandem formé par le vieux Prince et le jeune Tom : c'est original et rafraîchissant. Laguionie peut ainsi évoquer subtilement la vieillesse sans caricature (comme il l'a déjà fait dans d'autres films, d'ailleurs, surtout Louise en hiver). J'ai beaucoup apprécié les personnages secondaires soignés, comme le couple de savants et leur assistante, qui sont nuancés et sans aucun manichéisme. Il y a des personnages volontairement caricaturaux (les savants de l'Académie) mais aucun personnage parfait qui aurait raison tout du long, même pas le Prince ou Tom. De même, le film ne propose pas de solution toute faite aux problèmes évoqués, mais simplement des pistes. Le Prince lui-même n'est pas là pour tout résoudre, pas plus que Tom : chacun approche la situation à sa façon, selon son âge et ses buts. Du coup, c'est vraiment à nous de réfléchir, et c'est une liberté que j'apprécie.