Je ne sais pas très bien s'il faut que je le fasse ici, dans le fil, au risque d'être hors-sujet ou s'il serait utile de créer un topic dédié.Du coup, je vais mettre ce que j'ai écrit sur le sujet ici, en spoiler, pour ne pas encombrer. S'il faut le déplacer, no problem.
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Léo Perutz est un écrivain autrichien né en 1882, mort en 1957.Il est auteur de nombreux romans qui ne sont pas sans rapport avec la fantasy, le fantastique, le merveilleux...Plusieurs de ses textes sont qualifiés de chefs-d’œuvre de la littérature fantastique, mais leur réception en France a la plupart du temps touché les amateurs de littérature blanche plutôt que les fans de littératures de l'imaginaire, ce qui est assez dommage, et son lectorat reste relativement réduit, bien que la plupart de ses livres soient disponibles en poche.Ses thématiques sont en effet très proches de celles que nous aimons.Les romans de Perutz présentent des aventures pleines de rebondissements, riches en éléments surnaturels (le diable et les démons y sont omniprésents), situées dans des périodes historiques bien définies, généralement documentées, mais sans lourdeurs d'explications (principalement la Renaissance et la période napoléonienne). Poursuites épiques, batailles sanguinolentes, personnages plus grands que nature y côtoient questionnements métaphysiques, interrogations sur la nature du mal et de la création, mais aussi histoires cocasses et fulgurances apocalyptiques.Mes romans préférés sont :LE CAVALIER SUEDOIS : situé en Silésie au 18ème siècle, pendant la guerre entre les troupes du roi suédois et celles du tsar, ce roman retrace l'histoire d'un voleur qui, pour échapper à la boucherie et mener une vie plus heureuse auprès des siens, usurpe l'identité d'un cavalier suédois, "aussi fougueux que fat." Pourchassé par les troupes russes et le Diable, sa fuite le mènera-t-elle à sa famille ou aux bouches de l'Enfer ? "Poétique, ce livre émouvant manie le fantastique avec une subtilité inégalée, le laissant s'évanouir ici pour mieux le faire resurgir là. C'est un passionnant roman d'aventures, et tellement plus. Si le pessimisme de l'auteur s'y exprime, c'est sans grandiloquence, avec une sorte de pudeur. C'est enfin une superbe histoire d'amour. Amour d'un homme pour une femme, pour sa petite fille, et qui ira pour elles jusqu'à se dépouiller de son nom. Un chef d'œuvre."LA NUIT SOUS LE PONT DE PIERRE : Recueil de nouvelles rassemblées en roman par une trame lâche. Perutz était juif et exprime dans ce roman toutes les ressources du fantastique juif et de ses contes traditionnels. Il était aussi praguois, ne nous étonnons donc pas de retrouver des golems dans ce bouquin. "Le rabbin Loew, celui à qui on attribue la réalisation du Golem, y est évoqué. On y croise aussi l'empereur Rodolphe et une foule de personnages, des puissants et des gens de rien, tous guettés par la mort. La nouvelle Un Pichet d'eau-de-vie montre un alcoolique, musicien pauvre, cuvant son eau-de-vie dans le cimetière, le jour où les fantômes des morts de l'année passée viennent appeler les morts de l'année à venir. L'homme entend son nom. La légende se mêle à l'histoire en un basculement permanent de la réalité. Lorsque l'empereur succombe à la beauté de Rachel, l'épouse du rabbin Meisl, le rabbin Loew use d'un charme pour que les amoureux se rencontrent en rêve. Cet amour traverse tout le roman, union impossible de deux cultures, de deux classes sociales, union radieuse que symbolisent la rose et le romarin enlacés sous le Pont de Pierre, ce symbole de Prague, amour tragique qui condamne Rachel." LE MAITRE DU JUGEMENT DERNIER : "Le baron Gottfried von Yosch est appelé à remplacer, lors d'une soirée chez l'acteur Eugen Bischoff, un musicien indisponible. Étrange soirée… D'une part, le baron, ancien amant de Dina, l'épouse du comédien, se résigne mal à la rupture qu'elle lui a imposée. D'autre part, les amis d'Eugen Bischoff s'ingénient à lui dissimuler que sa carrière est sur le déclin et que la banque où il avait placé toutes ses économies vient de faire faillite. Aussi, lorsque l'acteur se suicide, après le concert, se trouve-t-il des gens pour penser que le baron, jaloux, l'y a poussé en lui révélant les mauvaises nouvelles. Mais bientôt, le roman bascule." Roman exemplaire en matière de fantastique. Tout commence comme une enquête policière (le baron a-t-il vraiment poussé l'acteur au suicide ?), avec recherches d'indices et de preuves. Puis, l'ambiance devient de plus en plus étouffante jusqu'à l'irruption dans le réel de la Mort et du monde des morts, toujours sous-jacent au nôtre, pour atteindre un final apocalyptique.Comme chez Kivirähk, le fantastique est chez Perutz ancré dans le quotidien. Plus apocalyptique et moins apaisé que l'estonien, Perutz possède cependant des qualités similaires : le fantastique y est accepté, et non combattu, l'humour est présent et parfois même gouailleur (surtout dans "La nuit sur le pont de pierre"), malgré l'horreur et le côté franchement plus noir de l'autrichien, leurs préoccupations sont proches : le juste et l'injuste, la vanité permanente de l'être humain, le piège des apparences, le diable et les démons qui marchent à nos côtés, le tragique de la condition humaine, "la souveraine valeur du terroir, les révélations et les pièges du monde spirituel",...On peut y ajouter quelques corrélations niveau stylistique : le côté picaresque et romantique des romans, "où l’action et l’humour sont empreints d’une subtile mélancolie", la narration à mi-chemin entre le réalisme et le conte, la permanente ambiguïté entre réalité et illusion, mensonge et vérité, sentiments réels et impostures improbables,...Perutz est volontiers plus sombre que Kivirähk, l'humain y est plus souvent victime tragique que chez l'estonien, mais c'est une lecture tout aussi enthousiasmante et fascinante.Toutes les citations entre guillemets sont de Gilbert Millet et Alain Delbe, sauf les deux dernières qui sont de Francis Berthelot