



NB : L’auteur s’excuse par avance auprès de tous les amateurs de moto pour l’image qu’il donne d’eux dans cet extrait.Toute ressemblance avec des faits, blablabla…
Bikers’Alley… Un endroit tout ce qu’il y a de moins recommandable… Une ruelle en cul-de-sac, avec de vieux bidons aux couleurs délavés dans lesquels on avait allumé des feux mourants. Des morceaux de grillage sur le sol, des flaques d’huile luisantes, des reflets irisés arrachés par la lueur des flammes. Et des motos. Toutes sortes de motos, mais en très large majorité de grosses cylindrées. Et leurs propriétaires étaient tous à l’intérieur, dans le bar adjacent, avec son enseigne au même nom que la rue, et dont la moitié des lettres en néon ne fonctionnaient même plus sans que cela parusse inquiéter quiconque, et surtout pas le propriétaire de cet établissement… Une autre source lumineuse vint alors prendre le relais. Les papiers tâchés de graisse de vieux hamburgers rances s’envolèrent comme si les vents avaient soudainement décidé de purifier cet endroit sordide. Deux bidons se renversèrent bruyamment, en vomissant leurs braises. Une sphère lumineuse était apparue comme née du néant, passage aux contours instables s’ouvrant sur une autre dimension. Chers lecteurs, si vous avez jeté un œil à Stargate ou encore plus à Sliders, vous comprendrez à quoi je fais donc ici allusion, particulièrement pour ses jolis tons bleutés… Un homme en jaillit tête la première, s’écroulant aussitôt sur le sol comme une masse. Il tremblait, replié sur lui-même dans la position du fœtus. Son visage était invisible, ses longs cheveux de jais trempés de sueur et de suie le dissimulant presqu’entièrement. Un filet de sang lui coulait sur la joue droite, c’était tout ce qu’il était permis de discerner. A l’intérieur du respectable établissement… Les bikers étaient tous rassemblés au comptoir ou entassés autour des tables et du billard au tapis déchiré, entre parts de frittes et choppes de bière. Jeans troués, blousons de cuir avec des chaînes qui pendaient plus ou moins - chacun voulant visiblement avoir la plus longue - foulard ou bandanas sur la tête ou crâne rasé, et pour tous, lunettes noires, même dans la pénombre enfumée du bar… S’il y avait des femmes dans le lot, impossible de les distinguer… Les discussions semblaient passionnées, entre la dernière blague à caractère pornographique entendue et les opinions sur le nouveau carburateur installé sur sa bécane, le confort d’une selle rembourrée acheté le jour même ou la façon dont on n’avait décoré son casque… Le patron de l’établissement, lui aussi motard, arborait la barbe la plus fournie tandis qu’il essuyait tant bien que mal des verres crasseux à l’aide d’un torchon qui aurait paru plus à son aise dans son garage, un vrai ZZ Top à la retraite. Aussi la vision d’un jeune homme complètement nu si ce n’était une paire de bottes, qu’il quitta de plus presqu’aussitôt sans autre indication, entrant en claquant la porte, visiblement pas le moins du monde gêné, était bien plus incongrue encore. Et déjà, des jointures craquaient… « Mais qu’est-ce que c’est que ça ? Dîtes-moi les gars ! fit l’un des bikers. — Hey, mon grand, pourquoi tu te promènes à poil comme ça ? Tu viens faire la manche ? — Peut-être que c’est un gay ? renchérit un troisième en prenant une voix de fausset, déclenchant une cascade de rires gras et sonores qui firent frissonner les lampes pendues au plafond dépourvu du moindre abat-jour. — Je ne suis pas gay… », répondit-il alors le nouveau venu, imperturbable. Il se tenait là, debout de toute sa hauteur, au milieu des tables éparpillés, comme si de rien n’était, de petites lunettes rondes aux branches abîmés pendant sur son nez. « Alors comme ça, tu ne viens pas pour te faire ramoner le pot d’échappement, sale junkie ? — Comme c’est spirituel, repartit l’autre avec un fin sourire, rejetant ses cheveux en arrière. — On va te faire passer l’envie de nous répondre comme ça ! A quoi tu t’attends en venant ici ? Tu veux p’têt mon fut et mon blouson ? Comme dans ce film, là ! — Et ta moto, pour bien faire ! — Ouais, sa belle moto ! Comme dans… Predator, je crois bien ! » L’autre les toisait, levant les yeux au ciel à ces mots, bras croisés, attendant visiblement le plus patiemment du monde qu’ils en aient terminé avec leurs bravades avinées. « C’est si gentiment proposé, convint-il lorsque le tumulte commença à présenter des signes de faiblesse. Je me vois mal refuser… » Sa voix feutrée n’avait rien à voir avec les braillements vulgaires de cette assemblée à qui il paraissait faire honneur de sa présence, même nu. Elle parut couvrir peu à peu leurs accès de rires démesurés. « Mais c’est qu’il serait sérieux ! Tu vas voir ! On va te recevoir comme il faut, mon gars ! » Quatre ou cinq des ivrognes se levèrent, titubant différemment selon leur taux d’alcoolémie, en tous les cas bien avancé. L’un d’eux, le poing ganté de cuir, tenta d’adresser un direct en plein visage à l’inconnu. Celui-ci se mut si vite qu’on eut dit qu’il n’avait même pas bougé. A la seconde tentative, il bloqua simplement le coup en emprisonnant la main de son adversaire dans sa paume. L’autre voulut immédiatement se dégager, mais n’y parvenant pas, il commença en ahaner en suant bien vite à grosses gouttes, sous les regards vitreux et incrédules de ses acolytes éthyliques. Leur étrange visiteur ne semblait produire aucun effort. « Un problème ? s’enquit-il d’un ton poli. — C’est toi qui va avoir un problème, si tu ne me lâches pas tout de suite ! jappa l’autre. — Mais comme il vous plaira. » Ecartant les doigts de façon fort théâtrale, il libéra son adversaire, qui le toisa en ricanant. « Tu fais moins le malin maintenant ! Je vois que tu as compris que tu risquais gros si… » Il s’interrompit lorsqu’il réalisa qu’il ne parvenait plus à refermer le poing. Ses doigts étaient translucides ! Du givre, comme lorsqu’il se prenait une bière dans son congélateur, s’était déposé sur ses jointures et recouvrait peu à peu toute sa main ! « Qu’est-ce que tu m’as fait, toi ! » hurla-t-il. Il aurait voulu pointer du doigt celui qu’il détestait maintenant plus que tout, mais en faisant ce geste… Sa main partit, se détachant de son corps en ne laissant qu’un moignon sanglant ! Ce n’était plus qu’un bloc de glace qui éclata en morceaux contre la poitrine nue du nouveau venu. Instant de stupeur… Puis tous se jetèrent contre lui, empoignant tout ce qui leur tombait sans la main, queue de billard, bouteilles, chaises… Il esquivait toutes les attaques en bondissant en tous sens, semblait en rire, puis, alors que la petite assemblée avinée reprenait son souffle entre deux assauts, il s’empara d’un verre de whisky à moitié rempli qui traînait sur une table. Son contenu s’éleva dans les airs, comme un liquide en apesanteur, et tout cela alors que les autres le regardaient bouche bée. Puis, tout s’accéléra, et un autre s’effondra sur le sol, renversant deux chaises. Un pic de glace couleur whisky enfoncé en plein cœur. Voilà ce qu’il avait fait de cette boisson ! Une arme mortelle ! « On ne vous a jamais dit que l’alcool pouvait tuer ? » se fit-il sentencieux. Un rugissement furieux l’empêcha de juger de l’effet de son jeu de mot dont il était fort satisfait. Il n’avait pas anticipé sur une réaction si vive, et il ne put éviter le coup de massue qui le frappa en plein visage, comme une énorme gifle. Ses pieds quittèrent les lattes du parquet crasseux, et il retomba à son tour face contre terre après avoir tourbillonné sur lui-même. A genoux, un autre coup tout aussi violent le cueillit sur le sommet du crâne. Le gigantesque motard n’attendit pas qu’il se redresse. Ivre de rage, il le frappa à coups de pieds, de ses imposantes chaussures cloutées. Tout à coup, on entendit des os se briser, distinctement. Mais les pleurs exsangues de l’étranger couvrirent aussitôt ses sinistres craquements. « Ah, tu peux gémir, espèce de bâtard ! Je sais pas d’où tu sors pour débarquer ici comme ça, mais les drogués comme toi, on les éclate en morceaux ! » le rudoya encore le colosse, accompagnant ses mots d’un crachat pour le moins verdâtre… Tous ses petits camarades reprirent ses déclarations en chœur, tous en rangs derrière lui. Leur adversaire aux pouvoirs tellement irrationnels était toujours étendu sur le sol comme il l’aurait été eux-mêmes à la fin de la soirée, noyés dans leurs vomissures. Il avait le dos maintenant couvert de bleus violacés et de meurtrissures diverses, et de puissants sanglots continuaient de le faire tressauter tels les témoins des spasmes de la douleur lancinante qui devait certainement le déchirer de part en part. « Tu vas la fermer ! s’écria le grand motard, passablement sur les nerfs, sans compter qu’aucun d’entre eux ne comprenaient ce qui avaient pu arriver à leurs camarades morts. On ne va pas te laisser t’échapper après ce que tu as fais, je peux te le dire, alors, au lieu de pleurer, tu ferais mieux de faire tes prières ! » Mais au contraire, les sanglots redoublèrent de violence. Et ce fut à cet instant scellant leur destin que les bikers réalisèrent top tard qu’il n’était plus question de geindre pour le mince jeune homme aux lunettes aux verres brisés. Il riait. Il riait tandis qu’il se redressait lentement, d’un rire de dément. « Oh, c’est bien not’chance, il a fallu qu’on tombe sur un échappé de l’asile ! fit l’un, lui-même hystérique. — Ou un membre du Fight Club, chef ! J’ai vu ça dans un film, ils aiment se faire cogner sur la gueule jusqu’à pisser le sang ! » brailla l’un des motards, les yeux exorbités. Apparemment, il n’y avait pas que de l’alcool ou des motos pour circuler dans les environs, le crack aussi… « Le roman de Chuck Palahniuk est meilleur que le film de David Fincher, très bon au demeurant, mais c’est un peu le cas de toutes les adaptations…, leur précisa stoïquement l’étranger, assis parterre, dodelinant nonchalamment de la tête. — Mais qu’est-ce que tu marmonnes, espèce de malade mental ! » Le biker aux énormes biceps tatoués voulut le rosser encore, pour le faire taire pour de bon désormais. Il le saisit par les cheveux avant qu’il se soit remis debout, ses jambes paraissant à peine en mesure de le porter. Il n’avait pas encore croiser à nouveau son regard, ce regard amusé bien à l’abris derrière ses lunettes. Il devait avoir perdu de sa superbe, de cette lueur frondeuse… Le motard le laissa retomber sur le sol en criant lorsque sa victime tourna les yeux vers lui. « Mais qu’est-ce que c’est que cette chose ! — Qu’y a-t-il maintenant ? Tu ne veux plus me frapper ? — J’ai entendu tes vertèbres se briser ! Tu n’aurais pas dû pouvoir bouger comme ça ! — Oh, mes vertèbres ? fit l’autre d’un ton doucereux, la tête exagérément inclinée sur le côté. C’est sans doute mieux ainsi… » Roulant des épaules tout en reprenant une position plus classique, tous purent entendre effectivement les craquements de ses articulations comme autant de rouages retrouvant leur position. Le dernier client en date du bar était à nouveau en état de commander, mais ce n’était pas ce qui semblait l’intéresser. Debout au milieu des tables renversés, des chaises aux pieds cassés, des flaques déjà à moitié bues par le plancher qui en avait vu d’autres, il toisait chacun des bikers un par un, de ce regard horrifiant pour quiconque le contemplait sans pouvoir s’en protéger. « Alors, plus personne ? » Les bikers n’attendirent pas plus, se ruant en avant comme un seul homme. Mais ils ne voulaient plus se frotter à cet être pour lequel il ne trouvait pas d’insulte afin de le qualifier, ce qui constituait pourtant d’ordinaire leur passe-temps favori pour qui ne faisait pas partie de leur bande. C’était l’entrée qu’ils visaient, ou plutôt la sortie. Quelques uns réussirent à passer. « Pas toi ! » fit leur adversaire à celui qui l’avait battu comme plâtre, alors qu’il tentait de fuir sur sa droite. Rapide comme l’éclair, il le saisit par une cheville, et le souleva ensuite au-dessus de lui sans la moindre difficulté, après avoir raffermi sa prise en attrapant sa ceinture à la boucle aux couleurs du drapeau des Etats-Unis d’Amérique. Le lourdaud mal rasé s’en alla voltiger derrière le comptoir, amenant de quoi boire avec lui au passage lorsqu’il brisa une bonne part des rayons. Aucun de ses camarades ne se préoccupaient de lui. Ils sortaient en se poussant du coude avec des bourrades tout sauf amicales, se couvraient d’insultes, et déjà, des moteurs pétaradaient, des pneus crissant sur l’asphalte. « Attends un peu, toi… Tu ne m’avais pas promis tes vêtements… Et ta moto ? — Si, si, bien, bien, bien sûr ! bégaya le motard. — C’est une Harley, j’espère ? s’enquit l’autre, d’un ton narquois. — Pas qu’un peu ! Qu’est-ce que tu crois ? Je l’ai payée assez chère pour avoir la même que le Rebelle ! — Le Rebelle ? Eh bien, je vous plains… Il y a tellement mieux… » Le dernier des bikers à ne pas être encore sorti les pieds devant n’était autre que celui qui s’était cru drôle en lançant la boutade qui se retournait maintenant contre lui alors que l’inconnu l’interpellait à l’autre bout du bar. A marcher pieds nus de la sorte, il aurait dû d’ailleurs laissé du sang derrière lui à chaque pas, entre les échardes et les éclats de verre. Ses horions disparaissaient déjà aussi… Mais le motard était trop apeuré pour faire attention à pareil détail. Il s’était dissous sur place, incapable de faire le moindre mouvement. Tout son corps tendait vers la sortie, mais sa tête était immanquablement retenue en arrière, comme hypnotisé. Il n’eut même pas le temps de répondre. Le jeune éphèbe était déjà sur lui, l’assommant d’un unique coup de poing, avant même qu’il ait pu acquiescer, ce qu’il s’apprêtait pourtant à faire avec un enthousiasme toutefois très particulier. Le motard voltigea jusqu’à se retrouver la tête enfoncée jusqu’aux épaules dans le mur le plus proche, là où se trouvait quelques minutes auparavant un tableau de jeu de fléchettes. En plein dans le mille… L’inconnu aux longs cheveux lustrés s’approcha alors de lui, maintenant qu’il n’y avait plus personne dans les environs, puis commença à le déshabiller. Après avoir récupéré son blouson et son pantalon, et enfilé de nouveau ses propres chaussures… Il haussa un sourcil interrogateur sur ce qu’il venait de découvrir. « Un string panthère ? Ah, les bikers ne sont plus ce qu’ils étaient ! » Faisant la moue, l’inconnu paraissait on ne peut plus circonspect quant à finalement porter ce qu’il considérait visiblement comme rien de moins que des haillons. Il s’avança sur le pas de la porte désertée, fit mine de sauter sur place, et… disparut dans les cieux, entre deux immeubles. Biker’s Alley était plus calme qu’elle ne l’avait jamais été, vidée de ses habituels occupants. Même l’incendie qui gagnait peu à peu le bar semblait vouloir prendre son temps pour tout brûler. Comme pour que l’inconnu puisse tranquillement… être de retour. Son pied toucha les marches de l’entrée à la façon de n’importe qu’elle personne. Mais il venait d’enjamber d’un seul bond la moitié de la ville… « Rien de tel qu’un détour au pressing pour avoir des vêtements propres et repassés… » Lorsqu’il reparut dans l’allée, il n’était donc plus tout nu. Et il avait trouvé une autre paire de lunettes. Il enfourcha la puissante machine, sentit ses cylindrées vibrer sous ses cuisses… Il tâtonna du bout des doigts moins d’une seconde pour trouver dissimulé… « Un fusil à pompe à canon scié, bien vu ! » Seul dans la nuit, il s’en alla sur sa nouvelle acquisition, accélérant, et accélérant encore, son rire surpassant toujours le rugissement du moteur.
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