C'est étonnant que personne n'ait encore parlé de cet anime japonais sorti chez nous fin août. Il en vaut la peine, alors c'est parti !Mamoru Hosoda a déjà réalisé La Traversée du temps, un film fantastique où le quotidien d'une lycéenne se trouve troublé à la fois par une aventure sentimentale et par une curieuse histoire de perturbations temporelles, et
Summer Wars, que je n'ai pas vu mais qui parle en gros de la lutte contre un virus informatique dans un jeu à environnement persistant, et qui a été très bien accueilli. Jusque là, Hosoda avait donc exploré le fantastique et la SF, mais avec
Les Enfants loups, il s'essaie à la fantasy, ou du moins à quelque chose qui s'en rapproche bien plus.L'idée de départ n'est pas loin du fantastique gothique, voire de la bit-lit, mais vous allez voir qu'on s'en écarte vite pour quelque chose de plus typiquement japonais (je dirais bien que c'est de la fantasy urbaine, mais ça redevient assez vite rural). Une étudiante, Hana, est attirée par un étudiant mystérieux et solitaire, dont elle tombe amoureuse. Elle l'aborde et parvient peu à peu à apprivoiser, au point qu'il développe des sentiments réciproques. Un soir, il lui révèle le secret qui le conduit à rechercher l'isolement : il est un homme-loup, l'un des derniers de l'espèce, qui passe pour disparue depuis longtemps. Hana surmonte sa peur, et le couple donne naissance, dans le plus complet isolement, à deux enfants : une petite fille, Yuki ("Neige"), puis un garçon, Ame ("Pluie"). L'homme-loup s'occupe de la mère et des deux bébés. Tout ça n'occupe que les quelques premières minutes du film. Jusque là, tout se passe très bien, mais, un jour, l'homme-loup disparaît, d'une façon que je ne révèle pas, et Hana se trouve seule avec deux enfants à la nature hybride, moitié enfants, moitié louveteaux. Inquiète des conséquences qu'aurait la révélation de cette nature hybride des deux enfants, Hana décide bientôt de déménager à la campagne, dans une maison en ruines mais salutairement isolée.Le film a été comparé
ad nauseam aux productions Ghibli : en réalité, les points communs restent très limités, tant avec Miyazaki (l'arrivée à la campagne fait brièvement penser à
Mon Voisin Totoro, mais le ton et le traitement de l'ensemble n'ont rien à voir) qu'avec Takahata (le sujet de départ et la problématique en partie écologique peuvent faire penser à
Pom Poko, mais Hosoda s'intéresse surtout à la psychologie des personnages). En fait, la vraie parenté du film serait plutôt à chercher du côté d'
Un été avec Coo de Keiichi Hara, où un sujet de départ fantastique inspiré de la mythologie japonaise est traité sous un angle résolument réaliste et avec une attention porté principalement aux problèmes de la famille et de l'accession à l'âge adulte.Le tout début, la relation entre Hana et l'homme-loup, est traité rapidement : tout se passe trop bien, et ce début a un côté fleur bleu un peu inquiétant. C'est lorsque Hana se retrouve seule que le film décolle littéralement : les enfants-loups crèvent l'écran avec leur hybridité débridée et leur énergie débordante. Hosoda tire habilement parti des multiples problèmes que pose la prise en charge de deux petits êtres aussi hors du commun, dans le monde d'aujourd'hui et dans le secret : les situations improbables drôles et émouvantes, s'enchaînent avec un bon rythme. Les caractères des deux enfants sont particulièrement intéressants : Yuki est la plus énergique et la plus extravertie, tandis qu'Ame reste longtemps fragile et refermé sur lui-même, tourmenté par quelque chose qu'on ne comprend que progressivement. Le ressemblance entre Ame et son père, dont on a vu le destin plus tôt, est également troublante et donne un poids particulier à ses problèmes. Ces deux caractères évoluent très différemment au fil du temps, et prennent rapidement le pas sur la pauvre Hana, qui a énormément de mal à comprendre et à éduquer ces deux petits prodiges. La fin du film aborde plus classiquement les problématiques de l'adolescence et de l'accession à l'âge adulte, de façon à mon avis moins originale, quoique avec des moments vraiment réussis. Ce qui fait la force du film, c'est la double lecture permanente à laquelle il se prête : au premier degré, c'est l'histoire, traitée sur un mode très réaliste, d'une situation extraordinaire ; mais sur un autre plan, on peut y lire une parabole sur les problèmes que pose tout ce qui peut rendre un enfant pas comme les autres. Selon les traits qu'on en retient, on peut penser aux enfants précoces, à l'appartenance à une minorité ethnique ou culturelle, ou à la découverte d'une sexualité différente... bref, tout ce qui rend des enfants différents, potentiellement plus vulnérables et plus forts à la fois. Ce sont des lectures secondes assez classiques dans le traitement de ce genre de thème en fantasy comme en fantastique et en SF, mais le film n'en fait jamais des tonnes là-dessus et se concentre pleinement sur les quelques personnes principaux et leurs relations. Cela fait que l'ensemble reste avant tout une réflexion sur les relations entre parents et enfants, puisqu'un enfant a toujours quelque chose qui le rend extraordinaire et difficile à comprendre pour ses parents...Un autre aspect du film, qui fait assez "Ghibli" en apparence, est l'évocation de la nature : le déménagement de Hana aboutit à un "retour à la terre" en bonne et due forme, thème qu'on trouve là aussi chez Takahata (dans
Omoide Poro Poro par exemple). Mais cela ne devient jamais le centre du film, et ce thème est peu à peu infléchi pour s'orienter sur la relation entre hommes et animaux, qui rejoint directement les trajectoires des personnages principaux. Bref, il y a des ingrédients communs avec certains Ghibli, mais, là encore, ce n'est pas traité de la même façon.Le film n'est pas exempt de défauts. La réalisation est toujours intéressante, bien que plus ou moins adroite. Certains moments m'ont paru magistralement menés, d'autres plus maladroits, moins bien dosés, menacés par le pathos. La musique m'a paru en faire un peu trop par moments. Le graphisme, très différent des rondeurs colorées à la Ghibli, peut moins plaire : personnellement, je m'y suis fait assez vite, et les décors sont somptueux. Enfin, si vous avez déjà lu ou vu des centaines d'histoires sur le même sujet, ce n'est peut-être pas ce film qui vous paraîtra révolutionner le thème. De mon côté, même si certains passages m'ont moins convaincu que d'autres, j'ai passé un excellent moment et je pense que l'ensemble mérite vraiment d'être vu, surtout si vous n'êtes pas encore allé voir autre chose que les Ghibli en animation japonaise.