L'esprit des lieuxA la recherche de l'Atlantidepar Tristan SavinLire, mars 2008 Située en Afrique, aux confins de l'Egypte et de la Libye, dans l'Atlas ou encore sous les mers avec Jules Verne, l'Atlantide reste un mystère et le mythe perdure. Peuplée de monstres marins, paradis perdu pour d'autres, ce qui est sûr, c'est qu'elle continue d'inspirer écrivains et historiens.En évoquant une civilisation engloutie, au détour d'un dialogue politique, Platon a marqué les esprits. Et créé le plus grand mythe littéraire de tous les temps: aucun n'a fait couler autant d'encre. Rapportée au philosophe par Critias, l'histoire de l'Atlantide aurait été révélée à Solon par un prêtre de Saïs, dans le delta du Nil: «Or donc, dans cette île Atlantide, s'était formée une grande et merveilleuse puissance de rois; [...] ils régnaient sur la Libye jusque vers l'Egypte, sur l'Europe jusqu'à la Tyrrhénie.» (Timée, p. 440.) Solon, l'un des Sept Sages de la Grèce, considéré comme l'inventeur de la démocratie, est plutôt digne de foi. Pourtant, les textes égyp-tiens gardent seulement la trace d'un Grand Tertre primordial, ou «île des Bienheureux» jadis ensevelie sous les flots. Platon imagina-t-il une fable historique dans le but d'influencer les décideurs athéniens?Avant lui, Hérodote mentionne «une montagne qu'on appelle Atlas: elle est étroite, parfaitement ronde et si haute que, dit-on, la cime en demeure invisible [...]. C'est la colonne qui soutient le ciel, disent les gens du pays. [...] on les appelle les Atlantes.» (L'enquête, p. 351.) Pour Pline l'Ancien, «en face du mont Atlas est, dit-on, l'île Atlantide, passé laquelle, à cinq journées de navigation, la terre ne présente plus que des déserts...» Toute légende contient une part de vérité. Le Sahara était couvert de verdure à l'époque supposée de l'Atlantide, vers 10 000 avant notre ère. Aux Canaries, la langue berbère fut parlée par les Guanches. Champollion a établi une parenté entre elle et l'égyptien ancien.Si Montaigne émet un doute sur un rapprochement entre l'Amérique et l'Atlantide, Voltaire se risque à considérer que, «s'il était vrai que cette partie du monde ait existé», l'Atlantide «n'était autre chose que l'île de Madère, découverte peut-être par les Phéniciens». (Essai sur les moeurs)Promoteur d'une Atlantide atlantiste, Jules Verne entraîne son professeur Aronnax dans une promenade en scaphandre: «Là, sous mes yeux, ruinée, abîmée, jetée bas, apparaissait une ville détruite, ses toits effondrés, ses temples abattus, ses arcs disloqués [...] comme si quelque antique port eût abrité jadis sur les bords d'un océan disparu les vaisseaux marchands et les trirèmes de guerre; [...] toute une Pompéi enfouie sous les eaux, que le capitaine Nemo ressuscitait à mes regards!» (Vingt mille lieues sous les mers) Dans Le monde perdu sous la mer, Conan Doyle entretient le mythe en peuplant l'Atlantique de monstres marins.S'inspirant d'Hérodote, Pierre Benoit situe le royaume atlante chez les Touaregs du Hoggar: «Seule dans cette immense catastrophe, s'est maintenue semblable à ce qu'elle fut alors, dans son antique splendeur, la montagne que voici, la montagne où Neptune enferma sa bien-aimée Clito, mère d'Atlas, aïeule millénaire d'Antinéa...» (L'Atlantide, p. 149.)Souvenir d'un paradis disparu, le mythe de Platon a l'avantage de reposer sur un récit fragmentaire dont on aurait perdu la source. Voilà pourquoi, de Diodore de Sicile à Strabon et Plutarque, des cités perdues de Lovecraft au Secret des Sargasses de John Flanders, alias Jean Ray, philosophes et romanciers furent si nombreux à élaborer une théorie. En 1622, dans sa Nouvelle Atlantide, sir Francis Bacon imaginait une société idéale découverte par des navigateurs errant dans le Pacifique... James Churchward place le berceau de l'humanité dans le même océan: le conti-nent perdu de Mu, ou Lémurie, expliquerait les mystères de la civilisation maya et de l'île de Pâques. Un tel bouleversement des croyances ramène au jour une vision diffé-rente des savoirs. D'où son intérêt littéraire générateur de légendes, de l'Ultima Thule à L'éternel Adam de Jules Verne.Aux Canaries, «transporté au coeur du monde même», dans un «paysage passionné qui se retirera un jour prochain avec la mer...», André Breton accumule les références à une Atlantide jamais nommée, prête «à défendre la réalité éternelle de tous les contes». (L'amour fou) L'exhumation des mondes engloutis rejoint peut-être la question freudienne des origines: découvrir l'Atlantide qui est en nous.Jules Verne Vingt mille lieues sous les mers (Livre de poche)Pierre Benoit L'Atlantide (Livre de poche)René Barjavel La nuit des temps (Denoël)Pierre Vidal-Naquet L'Atlantide (Les Belles Lettres)Collectif Atlantides (Omnibus)