Montreuil 2006 : les enfants d'Alice et Peter PanLE MONDE DES LIVRES | 23.11.06 | 12h09 • Mis à jour le 23.11.06 | 12h09 L'entrée ressemble à un mur d'escalade avec des prises en forme de têtes d'ours ou de battes de cricket. Peter Pan et la fée Clochette vous y accueillent avec grâce. Ensuite, c'est facile, il suffit de suivre les empreintes laissées par le tigre, le renard ou le perroquet pour arriver aux salles du même nom. Pourtant, le GOSHCC (Great Ormond Street Hospital Children's Charity) n'est ni un zoo ni un parc d'attractions. Créé au milieu du XIXe siècle, près du British Museum, ce fut le premier hôpital anglais entièrement consacré aux enfants. Aujourd'hui, c'est un établissement de pointe dont une nouvelle aile, ultramoderne, sera inaugurée cette semaine par le prince Charles. Et tout cela grâce à qui ? A un sale gosse, vantard, tête à claques, mais cependant irrésistible. Un enfant qui ne voulait pas grandir - mais aide aujourd'hui les autres à le faire : Peter Pan. On chercherait en vain un équivalent français. C'est un peu comme si Saint-Exupéry avait légué tous les droits du Petit Prince à l'hôpital Necker ou comme si le prochain scanner de Robert-Debré était suspendu aux ventes du Petit Nicolas... Car c'est bien ce qu'a fait l'auteur de Peter Pan, l'Ecossais James Matthew Barrie (1860-1937). En 1929, alors que le GOSHCC lui demande s'il peut participer à des lectures pour lever des fonds, Barrie refuse mais promet de voir "ce qu'il peut faire". Un peu plus tard, il fait don à l'hôpital de l'intégralité des droits mondiaux sur Peter Pan. Après tout, il n'a pas d'enfant et a toujours été fasciné par eux. Il léguera donc ses royalties, mais à une condition : que le montant des sommes perçues reste à jamais secret.L'hôpital, qui a toujours tenu sa promesse, ne cache pas qu'il s'agit d'une manne. "Aujourd'hui, on ne connaît plus guère Barrie que comme l'auteur de Peter Pan, note Christine De Poortere, du GOSHCC. Mais au début du XXe siècle, il était aussi célèbre qu'Oscar Wilde ou George Bernard Shaw. En 1904, lorsque est sortie sa première pièce pour enfants, Peter Pan, elle a immédiatement connu un succès inimaginable."AVENTURE ARCHÉTYPALEDans le bureau de Christine De Poortere s'alignent les innombrables versions (35 éditions, 31 langues) de Peter Pan. Certaines, comme celle illustrée par Rackham, sont des rêves de collectionneurs. En Angleterre, en effet, Peter Pan est un trésor national. Il y a quelques années, lorsque ses royalties ont failli tomber dans le domaine public, la Chambre des Lords s'est émue et un ancien premier ministre, James Callaghan, a fait voter une loi pour que l'hôpital recueille à jamais les droits de Peter Pan au Royaume-Uni.Reste qu'en 2008, ces droits viendront à expiration pour le reste du monde. D'où l'initiative originale du GOSHCC : organiser un concours pour que soit publiée une suite. C'est Géraldine McCaughrean, prolifique auteur pour la jeunesse et lauréate de nombreux prix, qui a eu le privilège d'écrire cette suite "dans l'esprit de Barrie et de son inclassable humour". Publié par Oxford University Press, Peter Pan in Scarlet est sorti dans une douzaine de pays le 5 octobre (1). "Tout en étant fidèle à Barrie, j'ai voulu mettre de moi-même dans ce livre, explique Mme McCaughrean. On y retrouve le même monde, les mêmes personnages, mais un tout petit peu changés. Je ne partage pas entièrement la vision pessimiste de Barrie, l'idée que l'on naîtrait heureux et que chaque année qui passe vous entraîne vers le pire. Je ne pense pas non plus que les adultes soient l'incarnation du mal. A ce propos, j'avais des choses à dire en tant que mère. Finalement, ce livre est peut-être le plus utile de tous ceux que j'aie jamais écrits."En choisissant Peter Pan et sa cousine Alice au pays des merveilles, de Lewis Carroll (1832-1898), comme invités d'honneur, le Salon de Montreuil nous invite donc à réfléchir à l'aventure archétypale que représente le passage de l'enfance à l'âge adulte. En quoi consiste cette traversée du miroir ? Peut-on l'effectuer sans se blesser, l'éviter, la contourner ? Il est frappant de voir que le Temps - qui est l'autre thème de Montreuil cette année - joue un rôle clé dans ces histoires. Ici, un garçon refuse de grandir, un crocodile fait tic-tac parce qu'il a avalé un réveille-matin. Là, un lapin est angoissé par l'idée d'être en retard ; des montres sont bloquées sur l'heure du thé, un chapelier affirme que "le Temps est un être vivant"... Partout, le Temps presse et oppresse. Perdu, arrêté, distendu, comprimé comme un ressort, le Temps n'est-il pas, d'ailleurs, un motif privilégié de la littérature enfantine anglaise ? Once upon a time... Au commencement était le temps. On songe à C. S. Lewis, Tolkien ou Pullman et à leur prédilection pour les espaces temporels imaginaires, à Roald Dahl et à La Potion magique de George Bouillon où la grand-mère grandit et rapetisse dans des délais records, à Hermione et à son "remonteur de temps" dans Harry Potter...Enfant, Barrie avait perdu un frère. Face au désespoir de sa mère, il avait voulu figer le temps en cessant de grandir. Il y réussit magnifiquement : toute sa vie, Sir James vécut dans le douillet cocon de son imagination. Quant à sa taille, elle ne dépassa jamais un mètre cinquante-deux.