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Posté : ven. 13 juin 2014 21:59
par Littlefinger
On ne présente plus l’anglais Christopher Priest. Figure de proue de la science-fiction britannique avec des romans aussi marquants que Le Monde Inverti, Le Prestige – adapté d’ailleurs par Christopher Nolan – ou encore La Séparation, on en oublierait presque que certaines de ces œuvres de jeunesse sont un peu tombées dans l’oubli en France. Parmi celles-ci, on trouve Le Rat Blanc, un vieux roman publié en 1976 par Presse de la Cité. Aujourd’hui soutenu par les éditions Denoël Lunes D’encre, Priest s’est décidé à retravailler l’ouvrage sur les conseils de Gilles Dumay avant de rééditer cette histoire de science-fiction post-apocalyptique sous le titre évocateur et malicieux de Notre Île Sombre. Sous une superbe couverture signée Aurélien Police, on découvre (ou redécouvre pour certains) l’œuvre de Priest avec une certaine perplexité.Dans Notre Île Sombre, Christopher Priest nous narre l’histoire d’Alan Whitman, un ex-professeur britannique pris dans la tourmente d’un Royaume-Uni plongé dans le chaos de la guerre civile. A la recherche de sa femme et de sa fille, il croise Rafiq et son groupe de survivants et continue d’assister à la lente déliquescence de son pays. Croulant sous le nombre des réfugiés venus du continent africain, l’île est déchirée par les milices, qu’elles soient afrims ou nationalistes. Dès lors, chacun tente de survivre tant bien que mal, pris entre la férocité des combats et le dénuement matériel le plus total. Whitman illustre ces hommes et femmes perdus, qui, du jour au lendemain, ont tout perdu.Commençons par nous attarder quelques secondes sur la préface du roman où l’auteur nous explique les raisons principales de cette version révisée. L’anglais nous expose non seulement des raisons purement formelles mais aussi et surtout une question de positionnement politique, son roman ayant été taxé soit de raciste soit de permissif. Du fait, Priest tente de rectifier le tir car son roman se veut neutre…Et franchement, on ne peut s’empêcher d’être gêné par cette explication, comme si l’écrivain devait se plier aux injonctions et perceptions politiques des uns et des autres et se retrouver à modifier à postériori son texte car certains l’ont mal compris…Dérangeant dans le fond de savoir qu’une des principales raisons de ces retouches s’avèrent être rien de moins qu’une quasi-auto-censure… Venons-en au cœur du sujet.Très court, à peine 200 pages, Notre île sombre ne peut se qualifier de bon roman. Ni de mauvais d’ailleurs. D’un côté, le personnage central d’Alan Whitman constitue un excellent anti-héros, tragiquement humain, médiocre en diable autour de sa vie sentimentale. Le lecteur s’identifie ainsi facilement à lui, non seulement parce que Priest le traite comme un homme ordinaire mais aussi parce que sa vision de la situation ne tombe pas dans les extrêmes. Tout à fait lucide, il expose sa haine contenue des africains qui ont envahis son pays et détruit sa vie mais les plaint aussi, victimes d’une catastrophe terrible et poussés à fuir dans le plus grand désespoir. Il n’en oublie pas de réprouver le parti fasciste au pouvoir avant même les événements des grands flux migratoires, tout en admettant qu’il serait difficile de faire assimiler autant de personnes d’un seul coup. En somme, une pensée saine, assez timide dans ses convictions, mais surtout froidement réaliste et pertinente.Commence alors les reproches à faire, vis-à-vis de l’histoire dans un premier temps. Si Alan accroche le lecteur, son parcours s’avère banal, sans grande surprise et franchement, il ne reste pas grand-chose des péripéties de l’anglais une fois le livre refermé. L’ensemble se révèle sympathique mais n’apporte rigoureusement rien à la traditionnelle recherche de proches disparus…. Plus embêtante, la structure du texte laisse dubitatif. Priest construit son récit par morceaux, avec le présent, le passé proche et les flash-back plus lointains. Si ces derniers se justifient et permettent d’appréhender les prémices de la guerre civile, l’enchaînement des deux autres – grossièrement avant la rencontre avec Rafiq et après – ne se justifie absolument pas. Il n’y a pas de grande révélation provoquée par cette approche et aucune sorte de métaphore pertinente. Non, le procédé complexifie la lecture du récit mais n’apporte rigoureusement rien dans cet éclatement. Si l’on remet l’histoire dans un ordre chronologique, cela ne change pas le sens ou le suspense, et facilite grandement la lecture qui en devient plus fluide et moins hachée. L’autre souci, c’est la genèse de l’apocalypse qui est exposée. Les explications de Priest tiennent sur une page et demie et ne convainquent pas. Il serait question de guerres nucléaires en Afrique pour ses ressources, de combats perpétuels entre les nations africaines…et puis voilà, les Africains fuient en masse vers l’Angleterre. Admettons que l’on y croit vraiment moyennement pour ne pas dire pas du tout. D’autant plus que l’auteur ne parle jamais des autres. Quid de la France ? De L’Espagne ? De l’Italie ? Tous ces pays sont bien plus proches du continent Africain que l’Angleterre, mais non. Rien. Pourquoi cette migration de masse pour un pays aussi éloigné que le Royaume-Uni ? Et pourquoi un gouvernement ouvertement faciste ne réprime-t-il pas les arrivées des plus grands navires ? Priest élude les questions…Le lecteur reste dans le flou et le restera jusqu’au bout. Si passé tous ces détails, le comportement Afrims-Nationalistes semble logique et inévitable, il peine à faire oublier les lacunes qui persistent autour des raisons de cette situation…Ainsi, Notre île sombre ne parvient pas à convaincre. Desservie par une histoire bancale et finalement très peu surprenante, inutilement complexifiée par une narration hachée, cette révision de Priest ne laisse que peu de choses auxquelles se raccrocher. Heureusement, le roman reste court. Mais pourquoi avoir retravaillé un texte pour accoucher d’une œuvre aussi mineure ? Une immense déception… Source : Just A Word