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Est-il encore besoin de présenter Sylvie Lainé ? Franchement…Bon, pour la forme et les deux du fond qui ne suivent pas vraiment, Madame Lainé est une nouvelliste française à la plume acérée et à l’émotion tranchante. Elle a déjà publié chez le petit éditeur ActuSF (qui a tout d’un grand) pas moins de trois recueils de nouvelles, à savoir dans l’ordre Le Miroir aux Eperluettes, Espaces Insécables et Marouflages. Elle poursuit donc son chemin avec un quatrième ouvrage, L’opéra de Shaya, toujours chez le même éditeur. Une longue novella, trois nouvelles et une interview attendent patiemment le lecteur au sein du petit livre. Puisque le travail de Sylvie Lainé n’a eu de cesse de se bonifier avec le temps, il serait vraiment temps de vérifier si ce dernier opus fait encore plus fort que les précédents. Parce que faire comme tout le monde, c’est mal, commençons par les trois nouvelles qui occupent le recueil. Dans la plus courte, Petits Arrangements Intra-galactiques, un convoyeur spatial de myrtilles se voit confronter à une sévère panne de vaisseau. Une seule solution, se poser sur une planète toute proche, RX412A, et tenter de survivre jusqu’à ce qu’une équipe de secours détecte son appel de détresse. Dis comme ça, ça fait très sérieux. Mais en fait, non. Sylvie Lainé choisit une grosse dose d’humour pour ce très court texte de 9 pages. Environnement savoureusement absurde peuplé de créatures improbables et un narrateur pas forcément très inquiet de son sort, c’est une pause récréative qui s’offre au lecteur, drôle et pourtant captivante. Par la suite, on arrive sur des nouvelles plus longues avec, d’abord, Un amour de Sable ou la découverte par une équipe de chercheurs d’une planète recouverte de sable multicolore qu’ils prélèvent pour l’étudier. Bien qu’ils n’y décèlent rien de particulier, le Sable lui est bel et bien un être conscient. Cette petite nouvelle s'avère une grande réussite. Vraiment. Elle arrive à la fois à être drôle et terrifiante. Drôle dans son décalage entre ce que font les hommes au Sable et à ce que Sable, qui s’exprime à la première personne, pense qu’ils font. Terrifiante pour sa chute, qui exploite à fond l’idée de l’incompréhensibilité de deux espèces au raisonnements radicalement différents. Surtout que dans le même temps, malgré des répercussions qui seront sans aucun doute horribles, il n’y a pas de méchants là-dedans, juste deux conceptions qui s’opposent, résultat de schémas cognitifs immensément différents. Excellent.Troisième et dernière nouvelle : Grenade au bord du ciel. C’est encore une fois une équipe de chercheurs qui part à la découverte d’un étrange artefact : un astéroïde artificiel. Alors qu’ils posent le pied dessus et commence à l’explorer, il découvre une propriété unique terrée à l’intérieur de celui-ci. Ce qui plaît dans ce texte, c’est l’imagination dont fait preuve Sylvie Lainé pour donner une raison d’être à cet astéroïde mais aussi son influence sur les personnes. Reste que la nouvelle s’avère un cran en-dessous des autres, notamment par la frustration d’une fin qui laisse entrevoir encore plus de possibilités et n’achève pas vraiment la réflexion pourtant bien amorcée, à savoir l’influence de l’objet sur les hommes, les bons…et justement les moins bons. C’est assez dommage d’autant plus que le texte reste très agréable à lire et constamment inventif. Disons que la française a mis la barre un peu trop haut pour expliquer cette légère déception. Et justement, puisqu’on parle de déception et de mettre la barre haut, il nous reste le gros morceau de ce recueil, la novella L’opéra de Shaya. So-Ann a émigré sur Flog6 pour changer d’air, changer de vie, changer d’univers. Malheureusement pour elle, les normes sociétales absurdes en vigueur sur la planète la rendent presque hostile pour les nouveaux venus. C’est par la rencontre avec un jeune inconnu ayant d’intéressantes relations qu’elle apprend l’existence de Shaya, une planète qui accueille une communauté restreinte de diverses espèces et qui, étrangement, s’adapte aux nouveaux arrivants. C’est ainsi que So-Ann décolle pour Shaya, où le paradis peut parfois côtoyer l’enfer. Au début de cette novella, Sylvie Lainé s’embarque dans un texte un poil politique, un sous-texte qu’on ressent immédiatement, centré sur l’intégration mais aussi sur l’acceptation de la différence – qu’elle soit physique ou sexuelle. Avec le court passage sur Flog6, on a un peu peur de voir le récit s’enliser dans des clichés navrants…et en fait, pas du tout. Car le départ de So-Ann pour Shaya et l’exploration de cette culture et du reste permet à Lainé d’amoindrir un peu son mordant politique pour replacer l’humain au centre de son histoire, comme elle l’affectionne tant d’habitude. So-Ann se révèle rapidement d’une humanité touchante, pas forcément parfaite –et c’est mieux ainsi – et découvre avec des yeux aussi ébahis que les nôtres la planète. C’est sa confrontation avec la culture des natifs qui va fonder toute la puissance du récit sans oublier un amour, atypique évidemment, mais qui va encore une fois toucher juste (un peu comme dans Les Yeux d’Elsa). Lainé passionne et impressionne avec ces extra-terrestres changeants et constamment en évolution. Peu à peu ce monde haut en couleurs et qui parait idyllique (prenant le vieux rêve utopique de l’intégration parfaite) se trouble. L’auteure laisse le suspense courir quelques pages avant que l’on ne se doute de ce qui se trame, et maintient ainsi tout du long notre attention. Sa chute, d’une certaine façon très proche d’Un Amour de Sable, montre encore une fois la difficulté de se comprendre pour deux cultures aux conceptions opposées et termine le récit à l’inverse de ce que l’on aurait pu craindre. Encore une fois, on ne trouve pas de méchants là-dedans, même si certains actes paraissent naturellement horribles, ils ont un sens, et une raison d’être dans une culture qui elle, ne peut pas forcément s’accorder avec la vision humaine de So-Ann. Ainsi la décision finale de celle-ci découle d’une même logique illogique, inévitable mais absurde. Avec cette acuité sublime, son art de frapper vite et fort, L’opéra de Shaya place bien la barre encore plus haute, presque le petit chef d’œuvre de l’écrivaine (même s’il est très difficile de départager vu la qualité du travail déjà publié auparavant)En fait, L’opéra de Shaya mérite votre attention, franchement. Encore une fois, Sylvie Lainé s’impose comme une figure de proue de l’imaginaire français et notamment dans ce format difficile et finalement un peu injustement boudé qu’est la nouvelle. Rien que pour la novella éponyme, le recueil se doit d’être lu. Ajoutez une interview passionnante – comme quoi, Sylvie Lainé elle-même pourrait être bien plus intéressante que son travail ! Oui, c'est possible ! – et il n’y a vraiment plus de raisons de rater cet excellent recueil qui cumule les qualités.9/10