Sur le fait que "c'est nécessaire pour rendre ce personnage ignoble crédible", et tout ce que cela autorise, finalement, je me permets de citer un bout d'article paru dans le Monde le 18 avril dernier, à propos de la légion d'honneur remise à M. Houellbecq :
"Pour montrer qu'on ne s'offusque de rien, on s'offre, comme alibi de modernité décontractée, la vulgarité nouvelle tendance. (…) elle passe pour libératrice, par une sorte de grand "Désormais" enthousiaste. Il s'agit, à vrai dire, du lâcher-tout pulsionnel et d'opinions dont on s'inquiète par ailleurs sur le plan politique. (…)
Souvenons-nous : pourquoi et quand Céline a-t-il sorti son sinistre fond de commerce politique? Dès l'instant où Céline s'est confondu avec Bardamu, son narrateur. Ceux qui invoquent sans cesse la pertinente et nécessaire distinction entre narrateur et auteur pourraient s'aviser que, de roman en roman, le narrateur de Michel Houellebecq a la même attitude à l'encontre des conquêtes de la modernité européenne ; cela finit par faire des romans porte-voix d'une idéologie nauséabonde. Evidemment, l'auteur est un malin, chaque fois il se dérobe derrière son narrateur et échappe aux mains qui le veulent bien. C'est qu'il les soulage, il leur signifie que tout est permis dans les opinions."
Que les choses soient claires, je ne fais aucun procès d'intention à M. Jaworski, et je ne compare pas sa personne, ses intentions, ses opinions politiques ou autres que j'ignore et dont je me moque, à celles de M. Houellebecq. Il s'agit uniquement d'une analogie sur le point précis de s'abriter derrière un personnage pour justifier, dans les actes ou propos de ce personnage, les pires saloperies. Il se peut que l’auteur ait sciemment anticipé, prévu, calculé cette
► Afficher le texte
scène de viol
. Personnellement j'en doute. Cette scène, sur le plan littéraire, est très réussie, elle sonne comme un de celles qui vous sortent des doigts sans qu'on l'ait appelée, comme si le personnage lui-même l'exigeait. Ces moments-là, pour un écrivain, sont tout sauf un moment d'écriture ordonnancée, calculée. Plutôt ces moments assez stupéfiants , lorsque le fond nauséeux des pulsions passe de l'obscur à la clarté des mots, de l'indicible au dicible. Je peux me tromper, bien sûr. Sur cette scène de ce livre, c'était mon impression.
On ne fait pas de littérature avec des bons sentiments, c'est même tout le contraire, et c'est pourquoi Benevenuto m'a paru être un personnage somme toute bien classique. Il ne s'agit bien entendu pas de prôner la morale à tous les étages en littérature, de gentils héros, etc. ce qui serait d'une stupidité sans nom.
Mais moi, en tant que femme, et pas seulement, je ne peux pas regarder Tango à Paris, lire Nabokov, ou considérer Gagner la Guerre comme si je ne savais pas ce que je sais, comme si je n'avais pas subi, en tant que femme, tout ce que le récent "me too" a si bien fait ressortir. Ce non-dit qu'on regardait comme allant de soi et qui à présent me met hors de moi, et encore, quand j'imagine le nombre d'hommes lisant la scène de Gagner la guerre et en éprouvant un certain plaisir _ car oui, il faut assumer et ne pas être hypocrite, c'est aussi cela la vertu cathartique de l'art.
Ce qui prouve que le livre de M. Jaworski a touché quelque chose de vrai, d'affreusement humain, qui a trait au au bas-fond de la virilité, telle qu'elle paraît aujourd'hui inacceptable. A-t-il voulu la dénoncer, est-elle justifiée par un contexte? Peu importe, finalement, puisque ce qu'on interroge ici c'est un ressenti de lectrice.