Le jeune homme n’était pas trop dérangé à l’idée de devoir faire un peu de sport. Du moment qu’il pouvait se contenter d’être en position de serveur, c’était certainement ce qui lui demanderait le moins d’effort, en tous cas, bien moins que de faire une partie de beach-soccer ! Et il avait déjà prévu de faire usage de quelques unes de ses techniques les plus secrètes, comme la fameuse botte de « la Mangouste en Furie » ! Avec celle-là, il était certain de pouvoir marquer à coup sûr dès l’engagement, sans même qu’il y ait un échange. C’était un coup quasiment imparable. Archibald se souvint de ses duels au lycée, contre le dénommé Mick Linders. Ah, une vraie teigne, toujours à se croire supérieur aux autres et n’hésitant pas à jouer des coudes ! Combien de fois avaient-ils failli abattre le filet les séparant pour se battre l’un contre l’autre ? Le jeune homme en sourit. Cette fois, son grand rival des années passés ne serait pas là. Par contre, le Prince Charmant avait été convié à cette sortie, et ne s’était pas privé de les accompagner justement… Depuis l’affrontement direct avec Lord Funkadelistic et la célébration de son succès, il avait été quant à lui rejeté dans l’ombre, mais étrangement, Charmant n’avait pas trop protesté face à ce déploiement de faste pour le plus honni de ses collègues. Evidemment, il n’avait pas participé à cette liesse générale plus que le strict minimum, mais il s’était montré nettement moins froid ou moqueur qu’il ne l’avait été depuis le tout début de leur cohabitation. Le Prince n’avait même pas cherché une seule fois à minimiser la réussite d’Archibald, ce qui était vraiment le plus surprenant pour lui qui trouvait légitime d’attirer tous les regards sur lui. C’était comme s’il avait choisi de garder profil bas, et le jeune homme se doutait bien pour quelle raison il avait adopté cette attitude humble… Il n’avait pas encore décidé du moment où il lui dirait ses quatre vérités, mais il n’y manquerait pas. En attendant, le Prince Charmant venait justement de faire sa véritable entrée, sortant de l’une des cabines de bain pliables qui venaient d’être installées, à l’abri derrière une barrière rocheuse recouverte de lichens rosés… De la barbe à papa… Des murmures de stupeur s’élevèrent parmi les élèves, et même de la bouche des accompagnateurs, si bien qu’Archibald avait paresseusement levé la tête dans la direction des bruissements admiratifs. « Oh, il fait vraiment chaud ! » soupirait Charmant, faussement indolent, et s’étirant de tout son long. Il n’était vêtu que d’un slip de bain couleur chair absolument répugnant. Tout le reste de son corps sculptural était disponible à la vue de tous, quel que soit l’angle. Ses muscles délicats mais finalement dessinés, son bronzage doré à point, le léger duvet dont il était si fier ondulant sur ses pectoraux, ses cheveux oints d’une huile essentielle rejetés en arrière, le Prince Charmant fermait les yeux en souriant sous les rayons du soleil. Oh, pour ça, il avait l’air diablement fier de lui et de son petit effet ! Archibald se renfrogna mais se dit bien vite qu’on verra comment il se comporterait sur le terrain de volley. Il en irait certainement tout autrement ! Toujours était-il que le Prince s’avançait maintenant au milieu de tous, une canette de jus de fruit à la main sortant tout juste de la glacière. « Ah… Ce soleil va me dessécher… », miaula-t-il toujours les yeux fermés, commençant à faire courir sa canette sur son front, sa nuque, puis son torse, comme pour happer sa fraîcheur, avec un sens consommé de la mise en scène. Archibald aurait été bien près de rire tellement il le trouvait pathétique, mais toute envie de la sorte lui passa lorsqu’il surprit un regard en coin de Charmant à l’adresse de Kate, dans l’assistance figée. Voilà qui une fois de plus n’avait rien de plaisant… Contrairement à bien d’autres, la jeune fille ne semblait pas l’avoir trouvé particulièrement séduisant ou impressionnant. Mais Lacyon par contre, après quelques instants à demeurer interdite, avait une drôle de lueur dans le regard… Enfin, pour elle, c’était quelque chose de pratiquement constant, la lubricité qui brûlait dans ses yeux n’avait rien de très remarquable. Néanmoins, une élève comme le Petit Chaperon était aussi rouge que son nom l’avait retenu… Nombreuses étaient les jeunes filles en fleur à se pâmer devant le Prince Charmant présentement dans toute sa splendeur… Le Doyen, quant à lui, faisait mine de ne s’apercevoir de rien, comme souvent lorsqu’il était question du comportement de son enfant gâté de professeur. Il s’était toutefois considérablement adouci vis-à-vis d’Archibald, et il avait même accueilli sa proposition de match de volley sans la moindre protestation. Au contraire, il avait même vu ça d’un bon œil, du moins en apparence. Cela faisait partie de ces choses – les disciplines sportives – que les habitants du monde féerique connaissaient vraiment très mal. Et c’était bien pour combler ces lacunes que le jeune homme avait été au commencement… recruté. Autant faire d’une pierre deux coups et s’amuser en travaillant. Pour ne pas faire trop compliqué, et ne pas avoir à trop s’embêter à ce sujet, Archibald avait pris la décision de simplifier les règles du volley-ball, et surtout, de traiter cela en deux contre deux. Une bonne part du trajet avait servi à leur inculquer les principes de base. A présent, pendant que certains dressaient donc l’aire de jeu, les équipes pouvaient commencer à être constituées… C’était le Doyen qui avait recueilli tous les petits papiers avec les noms des participants et les avait mélangé dans son chapeau. Il fallait quelqu’un digne de confiance pour ne pas commencer à connaître de contestation dès le début, et le vieux était le seul à avoir l’autorité nécessaire, sans compter que cela lui permettait de ne pas avoir à trop s’affairer ! Les participants de la sortie se rassemblèrent alors sur la page, les professeurs ainsi que Kate encadrant les élèves en demi-cercle. « Bien ! Le tournoi proposé par le professeur Bellérophon va pouvoir débuter ! Venez-donc tirer le nom de votre partenaire. Nous allons constituer huit équipes de deux joueurs. Une fois les paires constituées, allez vous disposer deux par deux donc, sur le terrain », indiqua-t-il d’un ton bien moins revêche que d’ordinaire. Le premier à venir se saisir d’un petit bout de papier en plongeant la main dans le bonnet du Doyen fut le Renard. « Goupil… Vous jouerez avec ? — Avec le Prince Charmant… », annonça-t-il d’une toute petite voix. Il s’en alla rejoindre son coéquipier en traînant clairement des pattes… Le pimpant professeur ne paraissait ne pas avoir remarqué ces réticences, accueillant au contraire la nouvelle avec une bonhomie boursouflée de prétention, ce qui était la moindre des choses à attendre de sa part. « Ah, petit Goupil, vous verrez ! déclama soudain Charmant d’une prose virevoltante, retrouvant son timbre guindé et surfait de toujours. Avec moi, vous avez d’ores et déjà remporté cette compétition, j’espère que vous en êtes bien conscient ! » Tous les regards convergèrent à nouveau vers lui, et il ne put s’empêcher de conclure cette déclaration en décapsulant enfin sa canette, et la portant à sa bouche sans dissimuler le moins du monde son sourire frondeur. Il en vida la moitié sur lui, le soda fruité dégoulinant sur son torse ferme et lisse, mais bien entendu, volontairement… « Il veut se faire engager dans la prochaine pub Coca Cola Light ou quoi ? » grommela Archibald en le toisant depuis l’autre extrémité du petit groupe. Le jeune homme avait toutefois prit garde à ce qu’on ne l’entende pas. Ce n’était pas le moment de se faire remarquer. Charmant méritait une bonne leçon, et il allait lui en donner une, sur le terrain. Comment pouvait-il se rengorger de la sorte alors que ce sport lui était totalement inconnu il y a seulement trois heures ? En tous les cas, le vieux sorcier prit le relais pour annoncer solennellement les duos ainsi formés. « Miss Indrema… Et le Petit Chaperon Rouge ! La fée Lacyon… Et l’un des trois petits cochons ! Le Petit Poucet… Et le Chat Botté ! Le Marquis de Carabas… Et Mlle Kate ! Barbe Bleue… Et Boucle d’Or ! Le Loup… Et Archibald Bellérophon ! Et enfin… Moi-même, annonça-t-il à la surprise de tous, avec… Qui donc va jouer avec moi ? Est-ce que certains ne veulent décidément que rester spectateur ? Allons donc ! » D’aucuns furent pris d’une quinte de toux subite, ou détournèrent précipitamment la tête. Le vieux sorcier réalisait peu à peu l’inconvenance de la situation, et surtout la gêne qui pouvait en découler pour lui. L’ambiance avait beau être plus détendue qu’à l’ordinaire, il y avait tout de même des limites qu’il n’était pas prêt à voir dépasser… « Personne…, répéta-t-il en s’empourprant. — Si, moi ! » fit une voix dans le dos de tous. Là-bas, au bord de l’eau, un jeune homme sortant de nulle part encore haletant les avaient interpellés. Son visage était dissimulé derrière un foulard bigarré, et on voyait que ses cheveux courts et d’une blondeur pas tout à fait naturelle… « Et qui êtes-vous ? s’enquit le Doyen d’un ton hésitant. — Je suis le Mystérieux Roi du Volley Masqué, et je viens pour faire équipe avec vous, le vieux ! Mais en attendant que ce soit vot’ tour, je vais patienter dans le coin, en m’en fumant une… » Et joignant le geste à la parole, l’inconnu tira une cigarette visiblement sèche de l’élastique de son maillot de bain, et l’alluma avec la plus grande nonchalance imaginable, ce qui était pourtant ardu avec un foulard sur la bouche, pour compliquer le tout... Avant de s’écarter à l’autre bout de la grève, et de se laisser tomber sur un rocher comme un sac de son.