verseb a écrit :Et sympa le coup de ne pas surenchérir sur un truc qui t'a plu pour respecter la prise de risque d'un autre éditeur.
Sympa je ne sais pas, parce que le fond du truc c'est que je pense qu'il aura beaucoup de mal à le vendre. D'un autre côté, l'auteur est plus que prometteur, ça fait partie de ces auteurs dont le nom revient en boucle." T'as jeté un oeil à ça ?" "T'as regardé ça ?" "T'as vu, il a eu tel prix ?" "XXX adore son bouquin, elle pourrait peut-être te faire une préface." Etc.
verseb a écrit :Par contre, q'est ce que ça doit être frustrant de ne pas pouvoir publier un truc que tu sais vachement bien :-(
Oui et non. Il faut avoir le courage de se demander si on est capable de défendre le texte comme il le mérite, et de le faire connaître comme il le mérite. Il y a quelques années, j'ai publié
Arslan de M.J. Engh, qui est un livre extrêmement difficile et en même temps un livre qui a une importance réelle, incontournable, dans l'histoire de la SF. Ça faisait des années que je voulais le faire, je me suis dit avec les attentas, avec le climat actuel ça va entrer en résonance et "c'est le bon moment". Et puis non, il n'y avait probablement pas de bon moment et quasiment personne n'a lu le livre. Les blogueurs s'y sont très moyennement intéressé et en fait les lecteurs (en très grande partie) s'en foutent de l'"importance réelle d'un titre, incontournable, dans l'histoire du genre SF". Ils veulent globalement une bonne histoire et celle d'
Arslan n'a plus le même écho aujourd'hui qu'il y a quarante ans. Le dispositif narratif très littéraire (deux narrateurs se répondent en miroir, éclairent différemment les mêmes faits) qui est un des aspects centraux du roman n'a pas beaucoup intéressé les lecteurs. Et le roman n'a pas beaucoup plu. J'ai toutefois un libraire qui en est fans et a défendu le truc bec et ongles. Donc c'est une publication qui prend peut--être la place d'une autre publication qui aurait peut-être davantage plu. Mais ce n'est pas un regret : dans le catalogue Lune d'encre, tel que je le pensais, Arslan a sa palce.
verseb a écrit :Tu as les coudées plus franches chez AM par rapport à Denoël ou c'est à peu prés pareil?
C'est très différent, car le projet n'est pas de moi, mais d'Alexis Esmenard. Et donc mon boulot ça a été de traduire ses envies en un département éditorial. Alexis est très "grand spectacle" et très narration. Il aime être emporté par l'histoire. Les projets
Anatèm,
Mage de bataille, c'est vraiment le coeur du genre qu'il affectionne. Quand je lui fais lire
Blackfish City il trouve le bouquin "génial", mais il y a les clignotants qui s'allument : c'est un livre ambitieux (sur le plan des thématiques), plein d'idées, très écrit, c'est un "coup de coeur", mais ça ne peut pas être le moteur de la collection. Alors on veut tout faire, du super gros moteur narratif et du super ambitieux sur le plan des idées, des concepts. Donc faut équilibrer tout ça et en même temps équilibrer les genres : space op', fantasy, fiction speculative, surnaturel divers et varié. Ce qui m'oblige à organiser aussi mes achats en termes de variété. Là, j'ai raté un gros truc de fantasy et donc il m'en faut un autre, mais je veux que ça soit "imparable". J'ai des pistes, mais j'attends les tomes 2, ou j'attends l'avis d'Alexis. On m'a fait lire un truc formidable, mais il y a 57 000 euros de traduction dessus, c'est absolument dément comme risque. Peut-être "plus tard", sans doute jamais. Et si quelqu'un d'autre se lance, tant pis, mais aussi tant mieux car ce sera traduit. Et on espère bien traduit.L'imaginaire en France est à une période charnière, tout le monde s'excite car tout le monde voit bien
Game of thrones,
Black Panther,
Ready Player One,
True Blood,
American gods,
Altered Carbon, les adaptations de Dick et j'en passe. Et en même temps, en librairie, ça ne se traduit pas par une augmentation massive des ventes. Ce que moi j'observe en tant que professionnel (au coeur de la tendance d'achat) c'est qu'aujourd'hui tout bon livre de SF d'une taille raisonnable trouve acquéreur et souvent aux enchères ; j'ai l'impression qu'en Fantasy c'est loin d'être le cas, je ne vais pas faire la liste des bonnes séries restées sur le carreau mais il y en a un paquet. Il me semble que l'investissement se porte davantage sur la SF. Le succès des films d'horreur (petits budgets - grosses recettes) devrait avoir des conséquences en librairie, pour le moment on ne les voit pas. Tout à peu près passe inaperçu. Par exemple, je n'ai pas vu de critiques de
Hex de Thomas Olde Heuvelt alors que ce roman j'ai tourné autour pendant des mois. Si ça devient un bon film (et il y a tout pour), ça devient en même temps un très bon pari éditorial.GD