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Amusant de voir que finalement, même si le Seigneur des Anneaux porte un vrai désenchantement, ce sont des auteurs d'aujourd'hui tranquillement installés derrière leur bureau bien au chaud, qui essaient de faire plus noir. :)

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Je reprends ici la discussion entamée dans les derniers messages là-bas : /viewtopic.php?t=7266Ce que je veux dire pour Goodkind, c'est que selon moi, ce sont des romans faussement "adultes". Évidemment qu'on ne pourrait pas les ranger en Jeunesse, mais pour moi la violence des romans est un vernis craquelé et finalement puéril, oui, parce que l'auteur ne connaît pas la nuance. Je ne sais pas si je suis très clair. :)

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Voyons si j'ai bien compris :) Tu veux dire que la violence est juste un effet de style qu'il utilise pour rendre plus attrayante une trame narrative plutôt creuse ? Et que s'il avait utilisé la violence de façon plus subtile en l'introduisant comme un des ressorts faisant avancer l'arc narratif plutôt que de simplement l'orner, cela aurait été plus percutant et donc plus adulte ? Si c'est bien ce que tu voulais dire, je comprends que Goodkind te semble puéril mais je crois aussi que nous ne sommes pas tous sensibles aux mêmes ressorts justement. Et que même si cela semble secondaire ou de surface, ce sont parfois ces ressorts qui vous attachent à une histoire. Dans le cas de Goodkind, cela ne tient pas la distance parce que son histoire est assez basique et surtout éminemment répétitive.Il me semble que quand ce principe du ressort/vernis s'adosse à une bonne histoire cela peut en faire une œuvre de bonne facture à la patine craquelée certes mais comme tous les tableaux de maître (là je pense à Williams bien sûr) Goodkind n'a pas une mauvaise histoire, il manque de talent pour lui donner de la profondeur mais du coup ça n'a pas non plus la résonance nécessaire pour en faire une bonne lecture jeunesse. Ce que je ne comprends pas bien en fait c'est que tu sembles associer adulte et "profondeur" ? Ou j'ai mal compris ? :D

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Ce que je ne comprends pas bien en fait c'est que tu sembles associer adulte et "profondeur" ? Ou j'ai mal compris ?
:ph34r:Ce que je veux dire, c'est que beaucoup de romans de fantasy se présentent comme prétendument "adultes" sur le fond parce qu'ils sont violents dans la forme. :)

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C'est intéressant, d'autant plus que je me suis interrogé plus d'une fois sur l'évolution de la fantasy, quel que soit son support (jeu vidéo, jeu de rôles, littérature, cinéma,...) vers des récits plus durs et plus sombres.Encore récemment, j'avais une discussion sur un forum de jeu de rôles sur ce thème : il y était question de la tendance des joueurs à créer un historique "tourmenté", c'est-à-dire comportant un grand lot de morts tragiques et traumatisantes. De là, nous avons dérivé sur la tendance actuelle en fantasy à produire des oeuvres plus sombres que par le passé.Si le sujet vous intéresse, vous pouvez toujours faire un petit tour ici, et pourquoi pas participer à la discussion!Quoi qu'il en soit, mon opinion sur la question est que cette évolution est naturelle. Pour faire schématique, je perçois l'évolution de la fantasy comme étant un passage du récit initiatique lumineux, souvent associé à l'enfance ou à l'adolescence, au récit sombre et non manichéen, souvent associé à une certaine forme de maturité. Selon moi, cela peut s'expliquer par trois facteurs :1) réaction par rapport à ce qui a été écrit avant :Dans le lien d'Aslan, Joe Abercrombie le dit très bien :
J’ai joué à de nombreux jeux de rôles et lu de nombreux romans épiques de fantasy quand j’étais enfant, j’ai commencé à m’ennuyer un peu de la façon qu’ils avaient d’être cloisonnés à une formule prévisible, et j’ai largement arrêté d’en lire au début des années 90 pour lire d’autres choses. Puis, j’ai lu "Le Trône de fer" et je me suis aperçu que c’était possible de faire quelque chose d’osé, d’imprévisible, de courageux et de centré sur des personnages tout en écrivant toujours dans le noyau commercial du genre – j’ai vu beaucoup, exprimé dans cette série, de ce que je pensais manquer très clairement à la fantasy.
J'ai trouvé ce passage très intéressant, parce qu'il résume totalement la situation : les écrivains qui ont connu la vague des récits initiatiques dans leur enfance/adolescence ont connu un phénomène de lassitude, parce que toutes les histoires finissaient par se ressembler, et donc devenir prévisibles.De plus, le récit initiatique est un genre qui peut (selon moi) être rattaché à l'enfance ou à l'adolescence, puisque son sujet principal est un passage à l'âge adulte. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que les amateurs de fantasy d'hier se sentent beaucoup moins touchés par ce type de récit une fois devenus adultes, ni qu'ils recherchent des récits qui les concernent plus. Des histoires d'adultes, donc.2) contexte politique, économique et social actuelUn autre facteur peut selon moi être trouvé dans l'évolution du contexte politique, économique et social en Occident. Dans les années 70 à 90, l'Occident était dans un contexte de fin d'âge d'or (les golden sixties) marqué par une crise économique (conséquence des chocs pétroliers des années 70), et caractérisé par un certain manichéisme (le "Sauron" de l'époque étant le communisme). Le début des années 90 est quant à lui caractérisé par l'espoir d'un nouvel âge d'or du côté occidental : l'aplanissement des conséquences de la crise des années 70 coïncide avec la fin de la guerre froide et l'effondrement du bloc de l'Est.Il est intéressant de constater que cette période semble coïncider avec l'époque de la fantasy "initiatique" et "manichéenne", c'est à dire caractérisée par un héros jeune avec un destin face à un Grand Méchant Ancestral.Les années 2000, en revanche, sont marquées pour l'Occident par la destruction d'un symbole puissant (le 11 septembre, qui fait perdre aux Etats-Unis leur image de sanctuaire inviolable), l'absence d'ennemi clairement indentifié, une nouvelle crise économique, ce qui conduit à un sentiment de désillusion mêlé d'angoisse (le "grand méchant" est vaincu, et pourtant l'âge d'or ne vient pas... Au contraire : de nouvelles menaces apparaissent, moins identifiées qu'auparavant) et à une absence de manichéisme (le thème du compot intérieur est d'ailleurs un thème souvent abordé dans les productions actuelles : X-Files, Elysium, XIII, Minority report, ... ).A nouveau, il est intéressant de constater que la Fantasy semble suivre le mouvement : cette incertitude face à l'avenir, cette désillusion, cette angoisse trouvent écho dans les récits "en vogue" du moment : le meileur exemple est la saga du Trône de Fer, qui met en scène un royaume florissant qui s'écroule à cause de sa situation politique malsaine.3) Effet de mode, mimétismeEnfin, le troisième facteur est selon moi un effet de mode : ce type de récits est pour le moment dans l'air du temps, sans doute parce qu'ils trouvent écho dans la situation politique, économique et sociale actuelle (voir le point 2). Cela a pour conséquence que les auteurs et les lecteurs/spectateurs seront naturellement attirés par ce genre d'histoires, puisqu'elles traitent de thématiques auxquelles il est facile de s'identifier. L'offre des auteurs s'accroît donc proporitonnellement à la demande des lecteurs... et ce de façon tout à fait naturelle.Pour tout résumer, je dirais que j'ai le sentiment que le jeune héros lumineux rêvant d'un monde meilleur est devenu has been parce que, dans le contexte actuel, rêver "naïvement" d'un monde meilleur est également devenu has been...Mais bon... La mode étant un phénomène cyclique, comme l'histoire, je pense que les tendances vont s'inverser tôt ou tard, et que les grands héros altruistes et généreux feront leur grand retour lorsqu'un trop plein de récits "sombres, désabusés et durs, donc adultes" se fera sentir. Voilà, c'était mon analyse (sans doute imparfaite) du phénomène. Qu'en pensez-vous?

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Aion a écrit :Encore récemment, j'avais une discussion sur un forum de jeu de rôles sur ce thème : il y était question de la tendance des joueurs à créer un historique "tourmenté", c'est-à-dire comportant un grand lot de morts tragiques et traumatisantes.
En réponse à ça, personnellement les trois personnages que je joue en ce moment ne sont ni orphelins ni violemment traumatisés, j'essaye de leur trouver d'autres raisons de se lancer à l'aventure (qui ne sont pas non plus sauver le monde). Parce que justement au bout d'un moment le sombre héros tourmenté c'est tout aussi vu et revu que le paladin en armure, faut arrêter de brûler des villages à tour de bras juste pour donner à un personnage la motivation de se bouger un peu de son auberge, c'est paresseux je trouve. :)Faut doser en somme, à trop vouloir s'éloigner du "je suis beau, pur, blond et j'ai des super-pouvoirs" on peut tomber dans le "syndrome Anakin Skywalker" assez vite. Le tout étant de doser, l'un comme l'autre ne sont pas vraiment réalistes.
Aion a écrit :Mais bon... La mode étant un phénomène cyclique, comme l'histoire, je pense que les tendances vont s'inverser tôt ou tard, et que les grands héros altruistes et généreux feront leur grand retour lorsqu'un trop plein de récits "sombres, désabusés et durs, donc adultes" se fera sentir.
Probablement, et il y a aussi plein de choses entre les deux, un peu de générosité ne fait pas de mal et des fois dans la vie il y a aussi des fleurs, des oiseaux et des bisounours, même au beau milieu d'un univers médiéval tourmenté.

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Nausikaa a écrit :des bisounours, même au beau milieu d'un univers médiéval tourmenté.
ah ouais!!!! Sans dec'!!!! Dans quel bouquin????:mrgreen::jesors:

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J'ai remarqué depuis à peu près trois ans l'arrivée d'une fantasy baroque chez les anglo saxons qui ne fait peut être pas de bruit mais qui est bien réelle. Les derniers romans de Martha Wells, la trilogie Edda of Burden de Elizabeth Bear, Bradley Beaulieu, Mark T Barnes, Philippa Ballantyne, Max Gladstone et on pourrait peut être même y inclure NK Jemisin. C'est nouveau. Il y a une volonté de faire réellement du sense of wonder en fantasy. La notion de worldbuilding devient assez importante pour ces auteurs. Leur but est clairement de créer des univers différents, originaux qui sortent des sentiers battus avec des constructions anthropologiques fortes. On pourrait même penser que dans ce contexte la new weird serait la forme extrême de cette fantasy baroque. Ce qui peut vouloir dire que les auteurs new weird ont eu raison trop tôt. J'ai jeté un oeil au catalogue de chez Tor pour 2014 et je peux vous dire que cette fantasy baroque on aura sans doute pas fini d'en entendre parler.

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Alors parce que j'ai la flemme je n'ai pas le temps d'élaborer ;) mais que je ne voudrais pas que tu restes dans le questionnement voilà quelques liens tout d'abord l'article sur Abercrombie qui est présenté en message #46 pour être d'actualité http://www.elbakin.net/fantasy/news/693 ... -New-Weirdune petite chronique une interviewune auteureEt il doit aussi y avoir quelques pistes dans le sujet la fantasy urbaine (parce que ce n'est pas QUE de la bitlit ;) )

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Hello! Merci pour vos réponses et précisions! :D Je ne connaissais pas le mouvement de la New Weird non plus. Par contre, je n'ai toujours pas bien compris ce dont il s'agissait, et quelles étaient les caractéristiques du genre.Selon la définition citée dans l'article, ce serait
« un genre de fiction urbaine, un monde secondaire qui renverse l’ idéalisation des lieux que l’on trouve dans la fantasy traditionnelle, déjà en choisissant la réalité, des modèles réalistes complexes comme point de départ pouvant combiner des éléments tant de science-fiction que de fantasy. »
Qu'entend-il par "idéalisation des lieux"? De plus, si j'ai bien tout compris, le concept consisterait à écrire une histoire se déroulant dans une ville de notre monde, dans laquelle la magie ou la technologie sont présents, et perçus comme ordinaires par une partie de la population? Donc Twilight, Buffy contre les vampires et Anita Blake, c'e serait de la "New Weird"?

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Aion a écrit :Donc Twilight, Buffy contre les vampires et Anita Blake, c'e serait de la "New Weird"?
Pour moi c'est plutôt de la fantasy urbaine sans particulière classification "new weird" mais je suis pas une spécialiste des cases ;)

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Je n'aime pas trop les étiquettes. Mais pour moi la "New Weird" se rapporte plutôt à l'hybride, l'étrange. Je le vois comme un mixte de genres : Science-fiction, Fantasy, Fantastique... Mais aussi comme un mélange dans les réalités qu'elle aborde, ce qui flirte parfois avec le surréalisme. "S'éloigner de l'idéalisme des lieux de la fantasy traditionnelle" Je dirais que cela signifie s'éloigner de certains archétypes que l'on prête à la Fantasy (comme la manichéisme, les figures héroïques, les quêtes honorables...). Dans le new weird, on est davantage sur des thématiques d'identités troubles. On remet en question ce que l'on est, où on est ... Bref, je vois ça comme un nouveau moyen pour provoquer une sensation d'exotisme chez le lecteur en misant sur l'étrange, en "floutant" les frontières habituelles. Perdido Street Station par exemple, c'est un beau foutoir. Une ville tentaculaire avec des quartiers barriolés ayant leur identité propre. La machinerie steampunk insolite cotoie de la chimie mitonnée à de la philosophie essentialiste. Les créatures sont hybrides mi-animaux et parfois mi-machines. En plus, on aborde les thèmes d'immigration, de vie en communauté qui sont aussi des reflets de notre crise identitaire occidentale.( waw trop la classe)Enfin, je me plante peut-être complètement. C'est juste mon impression.

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Pour avoir lu les deux, j'ai tout de même du mal à rapprocher Beaulieu et Barnes par exemple. A part alphabétiquement.... :p@ Sintaël : non, tes impressions sont plutôt claires. ;)

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Bofff...Sérieusement ?1. Ca me gave- et ça me gave profondément - que l'on assimile à tout bout de champs "noir, crade, pessimiste, nihiliste" avec "adulte". Etre adulte, ce n'est pas plus voir le monde et l'humanité comme monstrueux et dignes d'être détruits, que de le voir comme un champ de bisounours. Et (j'ai relu un bon nombre de fuseaux ces derniers jours) Les Enfants de Hurin n'est pas un livre plus "adulte" que Le Seigneur des Anneaux parce qu'on y parle
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plutôt que d'un Rôdeur qui reste fidèle à sa bien-aimée et finit par reconquérir son trône après avoir vaincu le Mal. Qoi ? Parler d'inceste, ce serait plus adulte que de parler de fidélité ? Cercei Lannister serait, littérairement parlant, plus adulte que Catelyn Stark ?2. Au sujet du Trône de Fer face aux romans "initiatiques" : le Trône de Fer est un roman initiatique. Celui de tous les jeunes personnages PDV. Et même de certains plus âgés, comme Tyrion (qui n'est pas bien vieux quand même) et Jaime. C'est le roman initiatique de Jon, ET de Bran, Et d'Arya, Et de Daenerys, Et de Sansa, ET de Sam, ET de Brienne, ET de Jaime et Tyrion (et j'en oublie sans doute). Et l'on y trouve un bon lot de pourris, mais aussi un bon lot de gens bien.3. Il y a une forte demande des lecteurs (du moins de ceux qui s'expriment sur la Net) pour des romans "nihilistes" et pseudo-adultes. Quand on suit, même de loin, les forums, blogs, discussions littéraires ou cinématographiques, on (enfin, je) est quand même marqué par cette demande de noir, de glauque, de pessimisme, sous prétexte de "réalisme". J'avoue avoir été assez horrifiée par les internautes demandant à Rowling la mort de Harry Potter, ou à Martin la fin de Westeros.

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lambertine a écrit :Ca me gave- et ça me gave profondément - que l'on assimile à tout bout de champs "noir, crade, pessimiste, nihiliste" avec "adulte". Etre adulte, ce n'est pas plus voir le monde et l'humanité comme monstrueux et dignes d'être détruits, que de le voir comme un champ de bisounours.
Je pense qu'on fait cette association parce qu'on ne va jamais classer quelque chose de violent ou avec du sexe en jeunesse. Et aller savoir comment, le gens en sont venus à la conclusion que pour être adulte, fallait être gore ou sexuel... Alors que pour moi, la différence adulte/jeunesse se fait plutôt sur la base de : "est-ce qu'un enfant aura tous les outils pour comprendre l'histoire?". Ce qui ne veut pas dire que les romans jeunesse sont dénués de profondeur, seulement que ce n'est pas mis en scène pareil (je ne saurais pas dire exactement d'où ça vient, c'est plus un ressenti global).
lambertine a écrit :le Trône de Fer est un roman initiatique.
Tout à fait d'accord. Enfin, j'ai mes réserves pour ce qui est de Brienne, Jaime et Tyrion, mais pour ce qui est des enfants Stark, leur initiation ne pourrait pas être plus explicite. D'une façon ou d'une autre, ils se retrouvent tous avec des mentors qui vont leur apprendre à devenir adultes (enfin, si Martin les laisse aller jusque là, on est à l'abri de rien avec ce monsieur).
lambertine a écrit :les internautes demandant à Rowling la mort de Harry Potter, ou à Martin la fin de Westeros
J'ai vu pire : des gens qui réclamaient un jeu pokemon où les pokemons se battraient à mort, avec du sang et tout, parce que ça serait plus "adulte"... Dans quel monde vivons-nous...?

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1. Ca me gave- et ça me gave profondément - que l'on assimile à tout bout de champs "noir, crade, pessimiste, nihiliste" avec "adulte". Etre adulte, ce n'est pas plus voir le monde et l'humanité comme monstrueux et dignes d'être détruits, que de le voir comme un champ de bisounours. Et (j'ai relu un bon nombre de fuseaux ces derniers jours) Les Enfants de Hurin n'est pas un livre plus "adulte" que Le Seigneur des Anneaux parce qu'on y parle
J'aurais plutôt de plus en plus tendance à penser qu'un récit adulte c'est celui qui privilégie la résolution non violente des conflit (la diplomatie ça doit pouvoir être épique).