Je me suis laissé tenter par
Adieu Aaricia.
Résumé court : c'est un exercice de style honorable, mais absurdement cruel avec les personnages.
J'ai apprécié :
- le soin apporté au dessin et aux couleurs.
- l'insertion virtuose de l'intrigue dans les événements et personnages de la série principale (globalement, les événements reviennent beaucoup sur la période des premiers albums, en particulier
L'Enfant des étoiles et
Aaricia).
- des personnages secondaires prometteurs.
- un rebondissement bien amené sur la fin.
Il y a des partis pris qu'on peut apprécier plus ou moins :
- Le dessin reste très classique. Ça ne change pas les habitudes... mais ça ne change pas les habitudes.
- Dans le scénario, il y a des tas de bouts de l'univers qui ne sont pas réexpliqués (comme l'identité du Grand Méchant, ou encore l'objet qui permet à Thorgal de partir à l'aventure dans les premières pages et qu'on ne reconnaît que si on a lu l'album
Le Maître des montagnes). L'album est donc plutôt à lire après la série principale.
- C'est dââârk. De ce point de vue, ça s'écarte sensiblement de l'état d'esprit de
Thorgal (ou du moins de la série principale).
Mais plusieurs aspects m'ont déçu :
- Des dialogues pas toujours très inspirés. Ils m'ont plusieurs fois laissé la bizarre impression d'avoir été traduits de l'anglais alors que l'auteur est français

- Une intrigue qui, en somme, enchaîne les scènes d'action, avec peu de ruses, de plans ingénieux ou d'atouts dans la manche.
- Le traitement des personnages secondaires, qui me laissaient espérer davantage d'évolution entre le début et la fin de l'intrigue.
- Un côté "facile" dans plusieurs péripéties qui me rappelaient davantage
Conan que
Thorgal.
- La fin ne me convient pas du tout. Au mieux, elle manque de grandeur. Mais je pense surtout qu'elle est bancale et inutilement sombre.
Détails avec
beaucoup de divulgâchis (tenez-vous-le pour dit !) :
► Afficher le texte
- Du côté ce qui m'a convaincu :
- J'ai beaucoup apprécié le soin apporté à insérer l'intrigue dans l'univers de l'enfance de Thorgal, notamment l'utilisation habile des Baalds (qui, je crois, apparaissent dans les deux premiers albums) et l'exploration du personnage de Gandalf-le-Fou.
- Tout le scénario nous amène à nous concentrer sur l'enjeu du sacrifice d'Aaricia, du coup je n'ai pas du tout vu venir que Nidhogg pouvait aussi triompher en amenant le jeune Thorgal à céder à la colère et à tuer Gandalf-le-Fou. C'était bien amené.
Du côté des déceptions :
- Aaricia est kidnappée et va être sacrifiée par des sectateurs fanatiques pour le compte d'un dieu-serpent. Difficile de faire plus cliché ! Alors, d'accord, un "hommage" à Conan, c'est sympa... tant qu'on reste dans un esprit "Thorgal". Mais là, avec une fin aussi sombre, pour moi, ce n'est plus du Thorgal.
- Parlons-en, d'Aaricia. Elle ne fait rien, elle est là pour servir d'enjeu à sauver. Voilà. Comparé à ce qu'on voit dans l'album Aaricia où elle a le même âge, c'est décevant. Retour aux intrigues de jeux vidéo des années 1980.
- La guerrière noire fille de Surtur est un personnage secondaire badass et hyper prometteur, qui en plus se base sur un bout de la cosmogonie viking qui n'était pas exploré dans les albums que j'avais lus (il l'a peut-être été dans les albums récents ou les séries dérivées, je ne sais pas). Mais à la fin, pouf, en fait non, on vire le surnaturel (du coup, on se demande comment ce personnage est arrivé là) et puis tiens, allez, on fait mourir le personnage secondaire noir en premier, comme dans les films des années 1990 ! Ça m'a laissé un goût de gâchis. Le personnage reste classe, mais avait du potentiel pour bien mieux que ça.
- Il y a quand même des problèmes de vraisemblance sur le comportement de Thorgal - le vieux et le jeune. Parlons d'abord de Thorgal vieux. Il a déjà vaincu plusieurs fois Nidhogg, il a vécu un nombre incalculable d'aventures... mais non, il donne dans le piège la tête la première. Il le dit franchement à Nidhogg, d'ailleurs. Aucun plan, aucune ruse, zéro appel à Jolan ou à Louve ou à ses autres enfants, ni à ses multiples alliés humains ou divins, zéro préparation, j'y vais comme ça, avec mes rhumatismes et mon ostéoporose. Je ne caricature pas : Thorgal vieux = mal aux os, c'est tout. On aurait pu se dire au moins que la vieillesse l'aurait rendu sage, prudent, rusé, mature... Rien du tout, il n'a droit qu'à la fatigue et au chagrin. Je veux bien qu'un Thorgal de 70 ans soit quelque peu diminué, mais là, c'est un peu gros.
- Passons à Thorgal jeune. On voit donc Thorgal vieux rencontrer Thorgal jeune. Bien. Il lui prodigue des conseils pour maîtriser sa colère. Très bien. Et... Ça ne sert à rien. Aucun effet, nada, retour à la case départ en encore pire. Ouate Sophocle ? Pourquoi le jeune Thorgal est-il aussi stupide dans cette trame temporelle alternative ? Ce n'est pas du tout expliqué. C'est juste pour faire une histoire dââârk tu vois...
- La fin est absurdement cruelle. En gros, le Mal a gagné, et tout ce que Thorgal peut dire est : "hé, je m'en sors bien, je garde de bons souvenirs d'une trame temporelle qui n'existe plus et que tout le monde aura oubliée une fois que je serai mort !"
Je suis désolé, mais Thorgal est mon héros et il est hors de question que son histoire se termine de cette manière. Si au moins le dénouement avait une vague grandeur tragique, si le sacrifice était fait au nom d'un enjeu quelconque, mettons... mais là, non. C'est juste mesquin. Inutilement cruel, donc. Ou alors il faut un second volume, mais en tant qu'intrigue autonome, c'est juste de l'acharnement gratuit contre les personnages.
Il reste possible qu'il y ait des références que je n'ai pas comprises, puisque je n'ai pas lu les albums après
La Bataille d'Asgard.
Quelques jours après lecture et relecture, l'exercice me laisse une impression de vanité. Je ne comprends pas ce que l'auteur a voulu exprimer avec cet album, quelle vision du monde il a voulu donner à voir. L'album me laisse le goût d'une simple suite de manipulations des émotions, un psychodrame pour faire du psychodrame. J'aime bien qu'on me fasse retenir mon souffle ou pleurer, mais pas quand c'est creux derrière.