C'est gentil.

Attention, bloc... Edit : j'avais oublié de préciser que bien sûr c'est un gros
SPOILER tout du long. Il serait mentir que prétendre que le film ne serait pas un peu déconcertant. J’entends par là que rien ne prépare le spectateur à ce qu’il va découvrir. La bande-annonce nous promet un monde d’imagination sans fin : c’est le cas dans une certaine mesure, mais d’une manière inattendue et plus dirigée qu’on ne pourrait le croire. En fait, je trouve qu’il s’agit du scénario le plus « sous contrôle » de Gilliam, ce qui peut effectivement paraître paradoxal vu l’univers qu’il présente et surtout le fait qu’il a dû subir de légères réécritures suite au décès de Heath Ledger (des réécritures finalement assez minimes, mais qui ont effectivement enrichi l’histoire, j’y reviendrai). En quoi est-ce un film « sous contrôle » ? L’idée vient peut-être seulement de moi, mais j’ai l’impression que Gilliam a cherché par tous les moyens à éviter de « se disperser ». En matière de délires, le film en est plus que pourvu (notamment lors de la séquence de Jude Law : montypythonesque en diable), mais quand on réfléchit à l’ensemble, on se rend compte que rien ne dérape jamais. Beaucoup de personnes réfractaires aux associations d’images limite psychédéliques ne seront certainement pas d’accord avec moi, et en l’occurrence la salle de cinéma se partageait en deux blocs : ceux qui ont adoré et j’en fais partie, je précise, et ceux qui sont restés hermétiques à la chose (ce n’est pourtant pas l’histoire la plus tordue qu’ait pu filmer le père Gilliam : je trouve
Time Bandits infiniment plus barré). Mais c’est donc selon moi un scénario extrêmement maîtrisé, malgré le bouleversement qu’a pu être la mort de Ledger. En soi, c’est sa force (car c’est cette grande maîtrise et le fait de savoir précisément où il allait qui ont dû permettre à Gilliam de finir son film contre toute attente), mais également sa limite, car cela ne permet pas beaucoup d’étrangetés. Ainsi les mondes des rêves que l’on voit sont visuellement très beaux, cela fourmille d’idées, mais restent illustratifs (hormis donc le passage de Jude Law avec la mafia russe en goguette, où l’on retrouve l’esprit des Monty Python). Ce que je veux dire est que les précédents films de Gilliam, contrairement à
Parnassus, semblaient se construire au fur et à mesure, et donc accumuler les détails improbables, l’inattendu cartoon, l’absurde sans rapport au reste :
Münchausen accumule les récits dans le récit, les abymes dans les abymes ;
Time Bandits ressemblent à un collage de sketches ;
L’armée des 12 singes manœuvre au gré d’une paranoïa et de symboles déconcertants… J’avais évoqué l’idée, il y a quelques temps, de « cadavres exquis » pour qualifier les films de Gilliam (NB : sur un autre forum), celui reflétant le plus cette idée, tant littéralement que métaphoriquement, étant bien sûr
Tideland. Même les
Frères Grimm dérapaient à plusieurs reprises, notamment avec le personnage incontrôlable de l’Italien ou celui de Jonathan Pryce. Or ce n’est pas le cas avec
Parnassus, où même le personnage du Diable, le dénommé Mr Nick, un improbable snob excentrique, reste finalement bien sage. Ceci étant dit, j’ai donc adoré ma séance et j’ai mis mes 4 étoiles sur 5 au film (l’étoile manquante concernant les petites réserves énoncées plus haut). Mais je vais chercher à démontrer (notamment) en quoi je le trouve différent (ou ressemblant, car y a quand même des ressemblances) des précédents films de Gilliam. Car non, on n’a pas déjà tout vu avant dans ce film, contrairement à ce que prétend par ex Télérama (dont je trouve la critique injuste et injustifiée, une constatation cyclique avec ce magazine que je ne peux cependant pas m’empêcher de lire). Je trouve même que la thématique du film, et par la même le développement des personnages, est assez inédite dans sa filmographie. A noter, seulement, que je n’ai toujours pas vu
Las Vegas Parano (je traîne un peu les pieds pour celui-là), mais je sais en gros de quoi ça cause. Enfin, si j’évoque les Monty Pyton, je ne vais pas parler des films typiquement montypythonesque (soit le
Sens de la Vie ou la
Vie de Brian). Je me propose de commencer en mettant les pieds dans le plat : Parnassus, un anti-Münchausen ? L’association des deux semble pourtant évidente. Les deux personnages ont des ressemblances, mais leur personnalité et leur manière de concevoir le destin différent beaucoup. Créateurs de mondes, tous les deux se plaisent à raconter des histoires, ou plus exactement, L’histoire, celle qui dure sans fin, qui maintient le monde et se répète à l’infini. Tous deux rajeunissent quand l’aventure ou l’amour leur procurent une nouvelle jeunesse. Mais Parnassus est las de raconter des (son) histoires, et la jeunesse qu’il s’offre régulièrement est totalement faussée, car elle n’est qu’un « truc » du Diable ; alors que Münchausen sauve une ville par ses récits et meurt pour mieux renaître. Parnassus est un personnage fatigué, alcoolique, sans cesse tiraillé par des choix de type cornélien : vais-je à droite, vais-je à gauche ? C’est une quête sans fin d’absolu, soumis à la fatalité (voir cette superbe image, à la fin, de la « Low street » et de la « High street », toutes deux menant dans le même gouffre). Münchausen n’a pas réellement de choix à faire : il se laisse porter par sa propre histoire, et si la Mort vient à passer, elle est une aventure comme une autre. Parnassus est obligé d’avancer sans cesse et de choisir en permanence entre deux routes. Par contre, la Mort lui est refusée : le choix ultime lui échappe. Münchausen se joue de la fatalité, car ses actions ne sont pas conduites par la logique, il s’oppose par essence à toute normalité : il est l’absurde, le conte, l’improbable, le fantasque et le démesuré dressés contre la science exacte, l’administration bornée et la logique stérile. Parnassus a soif de normalité, que son immortalité interdit, devant toujours se réinventer d’époque en époque, en n’appartenant à aucune d’entre elles et en étant incapable de retenir ce qui, un temps, le soulage de sa croix : ainsi meurt sa femme en couche, ainsi disparaît sa fille… Joueur invétéré (son malheur tient à un pari originel), il se raccroche plus au hasard qu’à la volonté : il compte sur les signes pour avancer, mais se révèle incapable de les comprendre (Tony « le Pendu » est une carte traîtresse dans son jeu, qu’il ne décode pas tout de suite). Dans un certain sens, il pourrait être un Münchausen qui a perdu la « foi » ou plutôt sur le point d’abandonner la lutte, ce qui rend compte de la tristesse du personnage : il perd son pouvoir d’enchanteur. Pour finir là-dessus, je dirai que j’ai trouvé Christopher Plummer merveilleux en vieil homme millénaire grincheux, un brin maladroit, mélancolique et attachant. Je vais parler maintenant de la relation complémentaire entre Parnassus et le dénommé Mr Nick, le personnage le plus gilliamesque du film (génialement interprété par le toujours génial Tom Waits). Le Diable est un dandy décadent, vieux beau, tiré à quatre épingle, rappelant le Loup de Tex Avery tout en cultivant une nonchalance et une décontraction royales. On regrettera peut-être que l’aspect résolument cartoon du personnage ne soit pas plus développé que ça, car, comme je disais plus haut, il reste assez sage pour un diablotin ! Quand le Diable rencontre Parnassus pour la première fois, il va le dénicher dans son sanctuaire religieux : Parnassus est la Voix de ce temple, dont les moines répètent inlassablement les mêmes paroles, la même histoire, dont la propriété est de soutenir la voûte céleste. A la suite d’un semblant d’interview (où l’on croit voir Gilliam lui-même au travers de Parnassus, soumis à l’inquisition journalistique), le Diable fait taire la Voix, en empêchant les moines de psalmodier, afin de prouver à Parnassus la futilité de raconter des histoires : le monde continue de tourner sans et la voûte céleste ne s’effondre pas. Pour le contrer, Parnassus accepte alors un pari : il va utiliser son imagination pour sauver des âmes, un travail d’éternité, et devient immortel. Les deux compères seront désormais inséparables, relançant sans cesse le pari, en jouant sur le nombre d’âmes que chacun est censé remporter : car le fait qu’ils ne peuvent se passer l’un de l’autre ! J’ai bien aimé à la toute fin quand le Diable fait signe à Parnassus de le suivre, un clin d’œil dans le regard, et que le vieux « docteur », tout souriant, semble tout prêt de le suivre ! Car ce Diable, en bon Méphisto qui se respecte, est malicieux. En outre, il aime son Faust, s’inquiète pour lui et, c’est à noter, ne souhaite pas sa chute ! Il veut continuer à parier avec lui, car ils se sont habitués à s’affronter. Ainsi je n’ai pas l’impression que Parnassus cherche plus à sauver des âmes pour faire triompher le Bien que pour juste déjouer le Mal (ce qui n’est certes pas tout à fait pareil) : d’autant plus que les enjeux des paris sont souvent graves. Le principal concernera la propre fille de Parnassus, promise à Mr Nick dès qu’elle aurait 16 ans : le Diable promet de la laisser si Parnassus gagne 5 âmes avant lui. C’est lors de ce (presque ultime) pari qu’interviendra le dénommé Tony (le personnage de « Heath Ledger et de ses amis »). Il s’avéra que Mr Nick ne voulait pas gagner ce pari, car il savait que la perte de sa fille rendrait Parnassus totalement désespéré et désormais indifférent : c’est lors de cette scène qu’on comprend leur « affection » commune, le Mal ne pouvant fonctionner sans le Bien, et vive et versa. J’en viens à parler du vrai perturbateur de l’histoire : Tony le Pendu, un mystérieux jeune homme, charmeur, séducteur, baratineur, un être qu’on devine progressivement insaisissable et finalement faux. Dernier véritable rôle de Ledger, on sent que le montage a privilégié sa performance. En effet, les scènes dans le monde réel (qui sont celles qu’il a tournées) sont majoritaires pendant les 2 premiers tiers du film, comme si Gilliam avait voulu conserver le maximum du travail de Ledger dans la salle de montage, ce qui est possible et compréhensible. Ce n’est pas en soi gênant, mais on se dit que si le destin du jeune comédien avait été autre, peut-être que certaines scènes auraient été raccourcies ou supprimées : une certaine longueur se ressent de temps en temps, on sent le montage de ces scènes moins aisé et moins naturel. Ceci étant posé, arrivons au principal : qui est Tony ? Dans la filmographie de Gilliam, on ne compte pas tant de personnages retors : il n’y a pas vraiment d’ambiguïté chez les personnages de ses films, on les cerne facilement (on sait que le personnage de Jonathan Pryce dans
Münchausen est « vipérin », on sait que le personnage de Brad Pitt dans l’
Armée des 12 singes est fou…) et aucun ne surprend par un retournement dramatique inattendu (ainsi l’Italien des
Frères Grimm refusant soudain d’obéir à son maître n’a rien d’un retournement de ce genre). En revanche, il est parfois arriver que Gilliam joue avec la propre ambiguïté de ses spectateurs. C’est à mon avis ce qui a dérangé le plus dans le poisseux
Tideland (pas son film le plus réussi, mais le plus ambitieux et les plus incompris), où certaines situations pouvaient prêter à confusion : on y voyait du mal, alors que Gilliam s’ingéniait à montrer l’innocence la plus pure et la plus terrible, c’est-à-dire la méconnaissance du Mal, soit l’incapacité des enfants à savoir quand ils font mal (note : pour moi, tous les personnages de ce film sont des enfants, car ils semblent tous déconnectés de la réalité, sans aucun sens des valeurs : ainsi le couple infernal formé par cette sœur et ce frère conserve encore le cadavre de leur mère, comme Norman Bates chez Hitchcock, incapable qu’ils sont de couper le cordon ombilical, jusqu’à ce que la petite Jeliza-Rose fracasse sans le vouloir le crâne de la momie). Il n’y a aucune ambiguïté dans cette attitude, mais elle entraîne une mécompréhension chez le spectateur, qui s’imagine des intentions inavouables. Concernant Tony, je pense que nous avons affaire ici au premier personnage véritablement ambigu du cinéma du Gilliam. Le réalisateur va en outre manipuler à son sujet le spectateur, qui n’imaginera jamais avant la révélation finale l’étendu de noirceur du personnage. Car il est abject, malsain, faux, un profiteur de la pire espèce, se jouant de tous, y compris de la Mort dont il s’ingénie à en réchapper toujours, et agaçant même le Diable (c’est dire !). Si le personnage principal reste Parnassus, la colonne vertébrale du scénario dépend de Tony : rien n’a lieu qu’il n’influence pas, par son apparition dramatique, ses actions, ses non-dits, ses fausses révélations et sa propre perte (qu’il crée, alors qu’il se perd dans l’imagination de Parnassus, où il ne parviendra plus à cacher sa fausseté). Il est troublant à plus d’un titre : il est l’agneau transformé en loup, le lutin lunaire et sautillant cachant un monstre assoiffé de gloire, d’argent et de sang (l’inverse de Jack Lucas, l’animateur repenti de
Fisher King). L’aisance qu’il a à s’adapter aux mondes imaginaires de Parnassus prouve son instinct de survie formidable, et à mon avis il découvre son vrai visage bien malgré lui. Et encore, s’il n’avait pas sous-estimé le vieux docteur, il aurait à nouveau réussi à sans sortir grâce à son « truc » : mais le truc était usé et connu, et c’est sa propre confiance nombriliste qui le perdra. Un personnage complexe et extrême donc. Et on aurait aimé que l’idée géniale de changer d’acteur à chaque passage à travers le miroir existât avant que la mort de Ledger ne pousse Gilliam à nous faire ce prodigieux tour de passe-passe, car cela enrichit profondément le scénario et est en outre logique par rapport au personnage. Etant faux par nature, il est normal qu’il soit toujours changeant quand il se retrouve confronté à l’imaginaire de Parnassus, où les gens sont censés se révéler à eux-mêmes. Dans son cas, on peut considérer que chaque visage qu’il arbore n’est qu’un nouveau masque, une nouvelle tromperie. Le premier d’entre eux est bien sûr Ledger, le masque du monde réel : « dépendu » suite à une tentative de meurtre manifeste (personne ne se suicide en se pendant à un pont après avoir aussi bien ficelé ses mains dans son dos), il est découvert avec des marques bizarroïdes sur le visage, un tuyau dans la gorge (j’ai, à ma grande honte, pas saisi tout de suite le truc, pourtant évident), une perte de mémoire probable (pourquoi en douter à ce point de l’histoire ?). On lui devine un passé parsemé de zones d’ombre (outre la tentative de meurtre lui supposant des ennemis acharnés, les quelques feuilles de journaux vues ici ou là le prouvent rapidement : des signes, tout comme la carte du Pendu, qu’on ne déchiffre pas tout de suite), mais on lui laisse le bénéfice du doute : après tout, il semble perdu, choqué, puis désireux d’aider. Le second Tony est un fantasme, celui d’une cliente de l’Imaginarium qui imagine en lui la perfection de l’amour, soit en l'occurrence Johnny Depp (je m'avoue être d’accord avec elle !) : c’est l’apparition la plus courte, mais elle n’est pas sans intérêt pour autant, notamment via un joli discours prononcé par Depp sur les personnes décédées, que le malheur n’atteint plus (on pense bien sûr à Ledger : le discours est trop appuyé pour qu’il n’y ait aucune corrélation). Le troisième Tony cherche à fuir les mafieux russes à ses trousses, que le Diable a manifestement menés à lui. Passé à travers le miroir, il espère ne pas être reconnu, donc tout logiquement il se pare d’un nouveau masque (et des yeux bleu froid de Jude Law… j’aime beaucoup cet acteur, notamment depuis
Gattaca, mais il ne semble pas faire l’unanimité). Mais c’est illusoire, car les symboles cabalistiques sur son front réapparaissent, trahissant son masque. On découvre également à cette occasion un Tony avide de gloire et de reconnaissance : il révèle alors une partie de son passé. Il ment bien sûr, mais encore une fois on lui laisse le bénéfice du doute : peut-être était-il effectivement trop ambitieux dans ses désirs de charité, au point de perdre tout sens commun. Le quatrième Tony, le plus important, est à nouveau un fantasme : il est l’image idéal que se forge Valentina, la fille de Parnassus, qui rêve d’une maison qui lui soit propre, d’un gentil mari de papier glacé et des enfants qui vont avec. J’ai trouvé d’ailleurs que l’addition de la tête de Colin Farrell dans le magazine qu’elle lit au début était bien faite et joliment bien amenée en vue de la fin du film. La découverte de sa véritable personnalité est d’autant plus un choc pour la pauvre Valentina, qui voit son rêve se fissurer littéralement (séquence impressionnante d’ailleurs). L’image proprette de Tony, l’homme d’affaire charitable, venant en aide aux enfants, explose avec violence. Car ce type est horrible, totalement horrible : manipulateur et sournois, il n’hésite pas à violenter quiconque se dresse devant lui, la pauvre Valentina en faisant notamment les frais. Et Colin Farrell de m’étonner une fois de plus, lui que je n’aimais pas trop auparavant et que je reconsidère un peu plus au fur et à mesure. Il est à remarquer dans cette évolution du personnage, que plus ça va, moins les acteurs choisis ressemblent à Heath Ledger. Cela a encore une fois tout son sens : plus le masque est déformant, plus le personnage devient trompeur et finit par dévoiler sa vraie nature. Cette ironie des symboles en général, ce jeu sur les images, les décors, le mélange du vrai et du faux, tout cela est central dans le cinéma de Terry Gilliam, très ancré dans l’univers théâtral, la déformation de la réalité par le prisme de l’imagination. La folie n’est jamais loin (dans
Brazil bien sûr ; également la petite voix inconnue parlant à Bruce Willis dans l’
Armée des 12 singes, alors que le personnage est confronté à de plus en plus de signes révélateurs de son destin ; ou encore la drogue et ses ravages dans
Las Vegas Parano, du moins comme je le suppose fortement même sans l’avoir vu). C’est une constante et
Parnassus ne s’en dépare pas. La petite scène de théâtre de l’Imaginarium et son miroir, décors en carton-pâte factices dont personne n’est dupe, ouvrent en réalité vers un imaginaire infini (un peu comme les « portes » de
Time Bandits), à la portée de quiconque, bons ou mauvais. J’ai adoré à ce sujet les premières scènes se passant derrière le miroir : la forêt d’arbres peints sur des planches fonctionne très bien, et on aurait aimé voir un peu plus de ces éléments typiquement scéniques dans les autres séquences de l’Imaginarium. Un mot rapide sur la carte du Pendu : que signifie-t-elle ? Parnassus peine, comme je l’ai déjà dit, à la comprendre. Il croit d’abord que Tony est l’envoyé du Diable, mais ce dernier le dément. Après recherche, je dirai que la carte ne désigne pas tant Tony que Parnassus lui-même. J’y connais rien au tarot, mais voilà la définition que j’ai trouvée : tirée dans la bon sens (soit avec le Pendu présenté tête en bas), cette carte est de mauvais augure et est le signe de problèmes existentiels, dépression, apathie, remords… ce que va vivre Parnassus. Tony est donc l’annonciateur des malheurs à venir de l’Imaginarium, le symbole des souffrances mêmes de Parnassus. J’en profite pour revenir sur le thème de la fatalité, que j’ai un peu développé plus haut quand je confrontais Parnassus à Münchausen. Parnassus perd de sa volonté, car il est confronté à l’ironie du destin. Prisonnier de son propre Imaginarium, toute sa vie consiste à créer des illusions, des rêves, des symboles et des mirages, en espérant guider les âmes vers le bon chemin. Il marche à tâtons. Il me fait penser à Sisyphe, ce personnage de la mythologie grecque condamné à pousser un rocher en haut d’une montagne et à recommencer éternellement (ce qui est symbolique aussi du chemin que doivent emprunter les âmes, cet immense escalier, si elles veulent être sauvées). Son nom évoquant en outre le mont Parnasse, lieu de culte hellénistique signifiant « maison » ou « demeure » (j’ai fait mes recherches !), cette recherche d’un havre (soit d’un but, en fait) prend tout son sens. C’est particulièrement frappant quand il erre à la fin dans le désert que sont devenues les ruines de son Imaginarium : les tristes restes de ses histoires accompagnent la désillusion de sa propre quête (cela fait très Don Quichotte, d’ailleurs, quand on y pense, mais ce dernier avait la folie consolatrice pour compagne ; on peut penser aussi à la recherche du Graal dans
Fisher King, et dans la symbologie en général). Et quand finalement il est sur le point d’abandonner et qu’il se retrouve face à l’ironie suprême du Choix (deux routes opposées, un même gouffre symbolisant le mirage d’un tel acharnement), l’espoir lui est rendu : c’est une très belle image d’ailleurs que celle de sa fille retrouvée, bien vivante et heureuse, avec un joli mari (le bon, cette fois, le maladroit mais fidèle Anton) et deux enfants (il me semble qu’il y en a deux). Il sait qu’elle va bien et qu’elle a en plus accompli son rêve (pas de fin déprimante à la
Brazil). Je finirai sur les autres acteurs et les considérations techniques. Je passe rapidement sur ces dernières : photographie correcte, quoiqu’un peu terne dans le monde réel (mais c’est sans doute volontaire), réalisation impec (y connais bien son boulot, le père Gilliam) avec des choix d’angles de vue parfois surprenants. Je me souviens avoir bien aimé la musique, mais je ne l’ai plus en tête (je me souviens surtout de la danse des policiers en bas résilles : c’est très perturbant comme image !!). Les effets spéciaux sont très réussis, même si donc j’aurai aimé plus de jeu avec des décors de scène. Les acteurs, mêmes les plus secondaires (comme les clients plus ou moins volontaires de l’Imaginarium) sont tous très bien, impliqués et motivés. Andrew Garfield tire admirablement son épingle du jeu et ne perd rien à la comparaison face au personnage rival du sien, c’est-à-dire Tony notamment quand il est joué par Heath Ledger. Lily Cole, mannequin de son état, se débrouille plus que correctement pour son premier vrai rôle : son visage de poupée a un petit côté fascinant, lui donnant un air mutin. Son tango avec le Diable, qui veut l’empêcher de prendre la porte des Enfers, est un moment d’anthologie. Quant à Verner Troyer, il est à cent lieues de la caricature « mini-mesque » qui doit lui coller à la peau : son personnage dégage une certaine autorité, il est le seul à être raisonnable dans cette troupe et il est aussi celui qui remet toujours Parnassus sur les bons rails, voire à le remettre littéralement à sa place ! J’aime bien aussi qu’il ait le dernier mot du film, quand il répond à un gamin qui veut savoir si la fin sera heureuse : « on ne peut malheureusement pas le promettre… »Et voilà, j’ai fini ma longue dissertation. Ne m’en veuillez pas s’il m’est arrivé de radoter et de me perdre dans mon propre délire. Après tout, il ne s’agit que de ma vision personnelle du film (très subjective, donc). En outre, j’ai certainement oublié des choses ! Et si des fautes d’orthographe ont été oubliées, ce n’est pas faute (ah, ah) de ne m’être pas relue.S'il se trouve des personnes pour lire mon soliloque (mais vu la longueur de la chose, je ne force personne), je serai heureuse de savoir ce qu'elles en pensent !
